Chapitre 9

69 9 0
                                    

Maël habitait un deux-pièces à Saint-Herblain, en périphérie nantaise, au premier d'un petit immeuble à trois étages. Dans le couloir, il ouvrit sa porte et s'effaça pour me laisser entrer. Je pénétrai avec une certaine émotion dans son domaine. On arrivait directement dans son salon, aussi grand à lui seul que mon studio. Une cuisine ouverte donnait dessus, séparée par un comptoir. 

― Installe-toi, dit-il en me désignant le canapé. Qu'est-ce que je te serre ?

Il laissa par terre son blouson et ses baskets, passant dans la cuisine en chaussettes. J'enlevai mon propre blouson, que je posai à côté de moi, avec mon sac. Je constatai avec une pointe de frustration qu'il portait un t-shirt noir à manches longues. Le vêtement, cintré, laissait deviner des muscles bien dessinés, une poitrine ferme. J'aurais donné cher pour lui retrousser les manches et apercevoir quelques centimètres carrés de sa peau, trop couverte jusqu'à présent !

― Pas d'alcool, s'il te plait... Tu as du Coca ? Ou de l'eau pétillante, sinon ?

― Du Coca, j'ai !

Il ouvrit son frigo, dissimulé derrière le comptoir, puis revins avec une canette et une bouteille de bière. Il me tendit la canette rouge et allai s'asseoir à côté de moi, quand l'alarme de son portable sonna.

― Ah, désolé, dit-il en arrêtant la sonnerie. Juste une seconde.

Il posa sa bière sur la table basse et retourna en cuisine. Dans un tiroir, il sortit une boîte en carton, l'ouvrit. Comme il me tournait le dos, je ne voyais pas très bien, mais il me sembla qu'il avalait un comprimé à l'aide d'un verre d'eau.

― Toi aussi, tu prends la pilule ? rigolai-je, en pensant à ma propre alarme qui me faisait penser à la prendre tous les midis.

― Très drôle, demoiselle !

Il revint s'asseoir à côté de moi, le sourire aux lèvres, et décapsula sa bière. Comme je continuai à le dévisager, il ajouta :

― C'est rien, t'inquiète ! T'es sûre que tu n'en veux pas ? dit-il en me désignant sa bouteille.

― Non, merci ! J'évite l'alcool le soir, ça me fait somnoler.

― En effet, ce serait dommage..., souffla-t-il, en fixant ma bouche...

Je me détournai en me raclant la gorge. La nuit s'annonçait prometteuse, mais j'avais d'abord une tâche à accomplir. En espérant que cela ne ruine pas la soirée. Je me tournai vers lui pour le regarder dans les yeux.

― Maël... J'aimerais comprendre d'où vient ta brouille avec Yann...

Il se raidit, plus du tout d'humeur aux badinages.

― Tu veux vraiment qu'on en parle maintenant ?

― Oui, s'il te plait... Ne le prend pas mal, mais je voudrais être sûre qu'il n'y a pas quelque chose que je devrais savoir, avant qu'on... qu'on aille plus loin.

Il garda un moment le silence, enfoncé dans le canapé, fixant sans la voir sa bouteille de bière qu'il faisait tourner entre ses doigts.

― D'accord, murmura-t-il, si tu me promets de n'en parler à personne.

― Bien sûr.

Il se tut encore un instant, le regard toujours perdu vers sa bouteille. Je respectai son silence, immobile.

― Autant que je me souvienne, j'ai toujours été plus rigolard que Yann, plus extraverti, dit-il enfin. J'adorai faire marrer les autres, me payer des barres de rire, les cours m'ennuyaient. Yann, au contraire, était l'élève sérieux, appliqué, celui qu'on prend en modèle. Arrivés au collège, nos parents, les profs, tout le monde a commencé à me le montrer en exemple, en me demandant pourquoi je ne pouvais pas être aussi appliqué que lui. C'est ce qui a commencé à sérieusement m'agacer, chez lui. Et puis il était tellement canon qu'il faisait tourner la tête de toutes les filles. Tu vois le beau gosse du lycée, celui que toutes les nanas matent plus ou moins discrètement ?

― Je vois, oui.

― Et tu vois aussi le trublion de service, celui qui met l'ambiance en cours, qui vanne les profs, très populaire mais cantonné au rôle du bon copain ?

Je voyais aussi. Mais pour ma part, j'étais bien plus sensible au charme de Maël. Sa bouche trop grande était faite pour rire et croquer la vie, son menton un peu long lui donnait du caractère. Et ses beaux yeux verts...

― Tu étais jaloux de son succès avec les filles ? demandai-je.

― Oui. J'étais en pleine adolescence, ces choses-là avaient beaucoup d'importance. Ce n'est plus autant le cas aujourd'hui, mais à l'époque je ne le supportais plus. Alors, quand il est tombé amoureux de cette fille et a commencé à la draguer, j'ai voulu lui prouver que je pouvais séduire les mêmes filles que lui. Elle m'a cédé.

― Mais c'est dégueulasse ! m'exclamai-je sans réfléchir.

― Oui, fit-il d'une voix monocorde. Et je le regrette chaque jour. J'étais jeune, j'étais con, j'ai foncé sans réfléchir. On a couché ensemble, et je me suis arrangé pour que Yann n'en ignore rien. Il était furieux. Je crois qu'il m'aurait démoli la gueule, si je l'avais laissé faire. On a dû nous séparer.

Je le considérai, stupéfaite. Il évitait toujours de me regarder, tourné vers sa bouteille.

― Est-ce que tu lui as demandé pardon, au moins ? demandai-je plus doucement.

― Non ! Bien sûr que non ! Jamais je n'irai ramper à ses pieds avec des excuses !

J'étais sidérée. Cela faisait un motif de haine valable pour Yann, moins pour Maël, dont la fierté me semblait un peu démesurée.

― Mais si tu regrettes ? insistai-je. Tu préfères laisser ce poison entre vous ? Il suffirait de quelques mots pour arranger les choses entre vous – au moins un peu.

― Je me moque bien de ce qu'il pense, fit-il avec mépris.

Je soupirai en secouant la tête... Il avala une gorgée de bière. Je n'avais pas touché à ma canette.

― Dis-moi, maintenant que tu es adulte, tu n'as aucune raison réelle de lui en vouloir, n'est-ce pas ? repris-je. Les jalousies de gosse, c'est fini... Alors tes moqueries contre lui, ce ne serait pas plutôt une façon de masquer ta culpabilité ?

― N'importe quoi ! s'exclama-t-il en me lançant un regard énervé. Je vais très bien ! Je n'ai pas besoin de ce connard !

Je gardai le silence, convaincue du contraire. Ou bien c'était de la culpabilité, ou bien il me cachait autre chose. Mais ce n'était pas le moment d'insister.

Maël se leva du canapé, alla jusqu'au comptoir où il posa sa bière. Puis il resta là, debout, immobile, me tournant le dos.

― Maintenant que tu sais, tu dois me prendre pour un salaud, hein ? murmura-t-il. Si tu veux partir maintenant, je comprendrais. Seulement fais-le vite, s'il te plait.

Je me levai à mon tour, le cœur battant.

― Je n'ai aucune envie de partir, Maël..., dis-je en venant me coller contre lui, mains sur ses hanches.

Je sentais la chaleur de sa peau à travers le tissu de son t-shirt. Je posai la tête contre son dos. Je le sentis prendre une profonde inspiration et soupirer. Ses mains se posèrent sur les miennes.

Il se retourna enfin, lentement, et son regard croisa le mien. Il me sembla fragile, comme s'il avait peine à croire que je sois toujours là. Je lui souris, posant mes mains sur sa poitrine.

Son regard se fit infiniment doux. Il prit ma tête entre ses mains, comme la première fois, et posa ses lèvres sur les miennes. Son baiser était tendre, ses lèvres très douces. Ce fut moi qui introduisis ma langue dans sa bouche. Je le sentis retenir son souffle, tandis que nous enroulions nos langues, que nos lèvres remuaient à l'unisson. Mes bras remontèrent dans son dos et les siens m'enlacèrent.

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant