Chapitre 27

61 8 2
                                    


La fin de la semaine arriva à toute allure. Peut-être trop vite, j'avais l'impression que le temps filait entre ses bras.

Le dimanche suivant, je montai en selle derrière Maël pour aller chez sa mère, dans un quartier résidentiel de Nantes. J'avais passé la nuit chez lui, mais pour une fois nous n'avions pas couché ensemble. J'étais fatiguée, et lui trop préoccupé. Après l'avoir rejoint dans la soirée, je lui avais parlé de l'anniversaire de sa mère. Il avait fait exactement la même grimace que Yann en entendant mon idée. Cependant, il se sentait toujours coupable de la peine qu'il avait infligée à sa mère et de l'inquiétude qu'elle ressentait toujours. Elle se désespérait aussi de voir ses fils se détester ainsi. Il pouvait au moins lui offrir ce petit plaisir...

Mais s'il m'avait promis d'ignorer son frère, il devrait également affronter le reste de sa famille – à savoir un oncle, une tante, deux cousins et les conjoints. Or il m'avoua du bout des lèvres que s'il évitait généralement les réunions de famille, en passant en coup de vent dans la matinée, c'était aussi pour les éviter. Tous le tenaient pour responsable de la rupture de ses parents... Le fait qu'il se soit rangé depuis douze ans avait arrondi les angles avec le temps, mais Yann restait toujours le préféré, l'enfant modèle qui faisait la fierté de la famille – et lui le canard boiteux à la vie dissolue.

Mais pour faire plaisir à sa mère – et un peu à moi également – il avait accepté de relever le défi. Il espérait que ma présence à ses côtés l'aiderait à rester calme...

En vertu de quoi, il était resté nerveux et tendu pendant toute la soirée, y compris quand nous étions allé nous coucher. J'avais respecté son humeur, en me blottissant contre lui pour tenter de l'apaiser.

Enfin, sur les coups de midi et demi, nous arrivâmes devant le petit pavillon familiale. Quand il sonna, sa mère apparut, les larmes aux yeux.

― Maël, viens, entre... Je suis tellement heureuse que tu sois venu...

Elle ouvrit le portail et serra son fils dans ses bras. C'était une femme de petite taille et menue, aux cheveux grisonnants attachés en une sage queue de cheval. Elle fêtait ses cinquante-neuf ans, et malgré les rides sont visage demeurait agréable, au sourire engageant.

― Maman, je te présente Céline, dit Maël en se dégageant doucement. C'est elle qui m'a convaincu.

― Merci, mademoiselle, me dit-elle, ça me fait tellement plaisir, vous ne pouvez pas savoir... Je m'appelle Brigitte. Tu es sûr que ça va aller ? demanda-t-elle à son fils. Tout le monde est déjà là...

― Ça va aller, lui assura-t-il.

Malgré sa voix assurée, son regard incertain trahissait son appréhension. L'entrée donnait directement dans un petit salon où de gros meubles anciens couverts de bibelots et de photos entouraient un canapé et une table à manger. Les personnes présentes étaient debout et discutaient entre elles. Le silence se fit immédiatement quand Maël pénétra dans la pièce. L'ambiance devint pesante, lourde d'attente. Il tenta de garder un visage impassible, mais serra ma main avec plus de force.

― Le voilà, nous allons pouvoir passer à table ! lança gaîment sa mère pour détendre l'atmosphère.

― Bonjour..., dit Maël en saluant de la tête chaque membre de la famille.

Il ne s'approcha pas, tendu, restant sur ses gardes. Yann était posté au fond de la pièce, près d'une fenêtre. Il plissa les yeux en fixant son frère, qui l'ignora avec application.

― Bonjour mon garçon, se lança l'oncle, un grand bonhomme baraqué à la coupe militaire poivre et sel. Ça fait bien longtemps, heureux de voir que tu es toujours parmi nous !

Il souriait en disant cela, mais Maël pâlit légèrement.

― Bonjour André... Je te présente Céline, mon amie.

Je jurai avoir vu Yann se crisper à cette annonce. Les autres invités se montrèrent aussitôt plus chaleureux avec moi, et je fis la tournée des bises.

― Bonjour !

― Enchanté !

― Salut !

― Eh bien Maël, enfin casé ! lança un de ses cousins en rigolant. Il était temps !

Il se contenta de rire jaune, sans répondre. Malgré l'ambiance qui se réchauffait, il restait tendu. En faisant le tour de l'assistance, j'arrivai naturellement jusqu'à Yann.

― Salut Yann, comment ça va ?

― Ça va. Tu le supportes toujours ? grinça-t-il.

― Je t'en prie, ne commence pas..., soufflai-je. Pensez à votre mère.

― Je sais, je sais. Mais je ne comprends toujours pas ce que tu fais avec lui.

― Tant pis, me contentai-je de répondre, agacée maintenant. Dis-moi, tu es toujours célibataire ? Il serait temps que tu te trouves quelqu'un, non ?

Outre le fait qu'il me lâcherait peut-être la grappe, le voir seul m'étonnait réellement. Pour un bel homme comme lui, ça ne devrait pas durer !

― Beaucoup de femmes doivent te faire les yeux doux, non ?

― Peu importe le nombre, je n'en cherche qu'une, trancha-t-il. Une qui fera battre mon cœur, et non, je ne l'ai pas encore trouvée.

― Il faudrait que je te présente mon amie Maryline, dis-je légèrement. Je lui ai déjà parlé de toi, elle est très intéressée !

Un premier sourire amusé fit enfin son apparition sur son beau visage.

― Si elle te ressemble...

― Tu verras bien ! lançai-je malicieusement.

Je retournai ensuite vers mon amant, pris à parti par ses deux cousins un peu plus âgés – et qui avait gardé un œil méfiant sur moi tandis que je parlais à son frère.

― À table, les garçons ! appela l'oncle André. 

Le déjeuner commença dans une bonne humeur retrouvée. Brigitte avait placé Maël à côté d'elle, toujours émue qu'il se soit joint à toute la famille. Yann s'était assis lui-même du côté opposé, le plus loin possible. Très vite, il apparut que les deux frères gardaient un air renfermé, crispé, et répondaient aux questions par monosyllabes. S'ils s'ignoraient de leur mieux, Maël était clairement le plus nerveux. Il parvenait à le cacher, mais serrait ma main sous la table, et enfilait les verres de vin. Les autres convives tâchaient de passer outre la tension et bavardaient avec légèreté. Pour Brigitte, l'essentiel était d'avoir ses deux fils enfin réunis.

Cependant,  plus le repas avançait, et plus les verres de vin se succédaient. Il avait presque vidé l'équivalent d'une bouteille quand sa mère apporta le dessert, une tarte aux fraises avec deux bougies en forme de chiffres, 5 et 9. Je n'étais pas la seule à l'avoir remarqué. Sa nervosité était palpable. Quand l'oncle André apporta une nouvelle bouteille, il la plaça au bout opposé de la table.

Tandis que l'on remplissait son assiette avec une part de tarte, Maël faisait tourner son verre à pied vide entre ses doigts, le regard absent. Il jeta un regard à la bouteille, continua à faire tourner le pied du verre. Doucement, je posai une main sur son poignet. 

― C'est toi qui conduis pour rentrer, n'oublie pas..., murmurai-je avec douceur.

Il me jeta un bref regard coupable, et laissa enfin son verre tranquille. Il savait comme moi qu'il avait largement dépassé le taux d'alcool autorisé.

― Les vieilles habitudes qui reviennent..., siffla Yann, à l'autre bout.

Même murmuré, tout le monde l'entendit. Maël se redressa brusquement, le regard noir braqué sur son assiette. Je fusillai Yann du regard.

― Sérieusement ! persista-t-il. Céline, tu veux avoir un accident en rentrant ? C'est complètement irresponsable !

― Arrête ! sifflai-je à mon tour.

À ma grande consternation, il semblait avoir dépassé le seuil de ce qu'il pouvait supporter.

― Ça ne te dérange pas de sortir avec un poivrot ??

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant