Chapitre 46

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Je marche, tandis que la nuit m'enveloppe de son étreinte bienveillante.

Je veux que tu sortes de ma vie.

Sa phrase me hante. Me torture. Me ronge de l'intérieur. Je peine à respirer tant le manque m'est cruel. Je n'en peux plus de souffrir ainsi. Je n'en peux plus du pouvoir que Thibault exerce sur lui. Il l'a conditionné pour qu'il me haïsse, je n'en reviens pas.

Marche. Il faut que tu marches.

Marcher pour oublier. Pour faire passer – tenter de faire passer – la douleur qui me dévore. Je frappe du pied tous les cailloux qui croisent ma route, les envoyant valser loin devant moi. Je veux qu'ils souffrent autant que je souffre moi. Merde, pourquoi les cailloux n'ont-ils pas mal ? Ils sont forts et ne se plaignent jamais.

Je serre les dents. Putain, mais qu'est-ce que j'ai, à parler des cailloux comme s'ils étaient vivants ? Il faut que je me ressaisisse.

Reprends-toi !

Je regarde la nuit. Elle est sombre. Comme mon cœur en ce moment. Je suis dans des ruelles inconnues, si bien qu'il n'y a pas un seul lampadaire à l'horizon. Alors, je me laisse guider par le fil noir de l'obscurité. Sans croiser personne, puisqu'il n'y a jamais personne à Dijon à cette heure aussi tardive. Ou devrais-je dire aussi matinale ? Il est cinq heures et demie. Dijon est encore endormie. Je suis seul. Livré à moi-même. Et c'est peut-être mieux ainsi. Peut-être qu'être seul est mon destin. Puisqu'en restant avec Erwan, en lui désobéissant et en refusant de reprendre le jeu, je me suis condamné à la solitude. Je savais qu'Erwan apprendrait le jeu tôt ou tard. J'espérais simplement qu'il l'apprendrait de moi, comme toutes mes autres relations avant lui. J'ai toujours révélé la vérité aux « deux mois » trois semaines après la séparation. Toujours. C'était une règle que je m'imposais. Et j'avais réussi à la tenir jusqu'à ce que Loris l'enfreigne en révélant tout à Erwan au bout de seulement quatorze jours. « Il était censé te quitter fin octobre. Au bout de deux mois. » Putain, j'aurais pu le tuer pour avoir lâché cette information. En même temps, aurais-je réussi à révéler moi-même le jeu à Erwan ? Pas sûr. Je tenais trop à lui pour oser le faire. Je me souviens de tous les moments que nous avons vécus. Chaque instant passé avec lui est gravé à jamais dans ma mémoire. Je me souviens de la fois où je l'ai vu, de l'instant où j'ai su que je le choisirais. C'était en septembre. J'avais observé chaque garçon de la fac pendant des mois entiers. Etudiant le moindre détail de leur visage et de leur corps. Je cherchais. Je guettais. Je traquais. Hélas, aucun n'était à mon goût. Ou bien quand il y en avait un qui l'était, je le sentais trop peu mûr pour résister au jeu. Ou au contraire trop mûr pour moi, donc susceptible de s'opposer à ma séduction, voire d'y être totalement froid. Mais je continuais de chercher, refusant de perdre espoir. Je montrais une façade forte, sûre d'elle-même, indestructible. L'intérieur n'était que peur, effroi et douleur. J'avais peur qu'il me batte si je ne retrouvais pas de nouvelle conquête. J'avais peur de sa violence, de ses coups. La peur me poussait en avant et m'incitait à redoubler mes efforts dans ma recherche. Et enfin, je l'avais vu. Jeune homme timide et perdu, il correspondait tout à fait à l'idée que je me faisais d'une victime. Il était la proie idéale et la rentrée me l'offrait sur un plateau d'argent. J'avais su dès l'instant où je l'avais vu que ce serait lui et personne d'autre. Je l'avais suivi dans la résidence pour voir dans quel studio il vivait – quel soulagement pour moi d'apprendre que nous étions tous les deux à Saint-Bernard ! La séduction n'en serait que plus facile. Lorsqu'il m'avait salué, je m'étais évidemment bien gardé de lui répondre, parfaitement conscient que mon impolitesse attirerait son attention. Je ne m'étais pas trompé. Je ne me trompais jamais à propos de la séduction. Il avait bien fait son travail. Erwan avait cédé à mon charme et il était tombé dans mes bras. Ça ne ratait jamais. A une exception près, cependant. Pour la seconde fois depuis des années, j'étais tombé amoureux de lui.


Séduction Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant