Je suis un peu plus sur mes gardes à chaque jour qui passe. Notre petit groupe amical s'est agrandi : il y a Antoine et Sam, Lisa qui n'a retrouvé personne depuis Loïc, et Ambre et Camille. Deux couples homosexuels, un gay célibataire et une hétérosexuelle également seule. Un groupe plus que singulier, qui ne suffit pourtant pas à me rassurer. J'ai peur. Une peur presque maladive. Que Thibault puisse faire du mal à Erwan me rend dingue. Je guette et ne vois pour le moment rien d'anormal, mais je ne suis pas dupe. Je connais Thibault. Comme Lisa, je sais ce qu'il est capable de faire. Putain, s'il touche Erwan...je crois que j'exploserai.
-On interviendra s'il se passe quelque chose, T, me rassure Ambre.
-Oh oui, renchérit Camille. Les homosexuels dangereux, ça me connaît !
A ces mots, je lève les yeux vers elle.
-Quoi ? Pourquoi dis-tu cela ?
Son regard se perd dans le vide.
-Quand j'étais petite...pendant trois mois, j'ai...j'ai été violée par mon institutrice. Mes copines trouvaient bizarre le fait qu'elle me demandait toujours de rester plus longtemps après la fin de l'école. Elles l'ont dit à leurs parents qui ont alerté les miens. Comme je n'ai rien osé dire, mon père a confié ses soupçons au directeur et un soir, il a découvert le pot aux roses.
J'en demeure bouche-bée d'horreur. C'est presque pire que ce que j'ai vécu moi. Je ne peux pas lui dire que je suis désolé : cela reviendrait à dire que ce qui s'est produit est ma faute, or ce n'est pas le cas.
-C'est horrible...
Je vois Camille hocher la tête.
-Je suis restée quatorze ans toute seule. J'avais six ans quand le viol a commencé ; j'en avais vingt lorsque j'ai rencontré Ambre. C'est elle qui m'a sauvée. Elle m'a montré que l'amour n'était pas uniquement lié au sexe ou à la violence. Après ce que j'ai vécu, je n'ai jamais pu supporter aucune activité sexuelle, je ne supporte même plus de me regarder. Ambre a réussi à m'apprivoiser.
Elle relève les yeux vers moi, tandis qu'Ambre lui prend doucement la main. L'amour brille dans leurs yeux et je ne peux m'empêcher de les envier. Le manque d'Erwan me donne envie de hurler. Incapable de les regarder plus longtemps, je détourne les yeux et reporte mon attention sur le couple maudit.
Une main se pose sur mon bras.
-Calme, T. Il ne s'est encore rien passé, détends-toi.
Lisa. Décidément, elle est à l'écoute des autres. Et observatrice, puisqu'elle est à l'évidence la seule à avoir capté ma rage. Je me force à desserrer les poings.
-Mais il va se passer quelque chose, je murmure.
-Pas nécessairement, me dit-elle. Ils vont peut-être rester amis.
-Venant de Thibault, j'ai du mal à le croire.
-N'attaque pas tant qu'on n'est sûr de rien, d'accord ?
Je hoche la tête.
-D'accord.
Je les regarde tous un par un. Lisa. Antoine. Sam. Ambre. Camille.
-Pourquoi avez-vous décidé de m'aider ? De me soutenir ainsi ?
Ils me sourient.
-Parce que tu aimes Erwan et que tu mérites d'être aidé.
