Les Yeux

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-Bon, et si tu me disais ce qui s'est passé ? T'as l'air complètement en rogne, tu fais peur!

Je dévisage Ruby, sans trop savoir quoi ajouter de plus. La pièce est plongée dans un silence presque immuable. Dehors, la pluie tapote rageusement sur la vitre de la fenêtre, sans doute frustrée de ne pas pouvoir rentrer à l'intérieur, pour ruiner le parquet. Pas de chance.

Lisa est assise en face de nous deux, trempée. De chacune de ses mèches désormais aussi brunes que les miennes, dégoulinent des gouttes d'eaux qui viennent s'écraser soit au sol, soit sur ses cuisses, soit encore, sur la table de notre cuisine. Elle est rentrée il y a dix minutes, et n'a pas prononcé un seul mot depuis.

La porte d'entrée a claqué, plus violemment que d'habitude. Puis, ce fut au tour de celle de la cuisine de subir le courroux de ma petite sœur, passée en mode ours des cavernes.

Depuis le salon, je l'ai vue ouvrir un placard avec une poigne si monstrueusement puissante qu'on aurait dit qu'elle voulait l'arracher complètement pour le casser sur la tête du premier venu.

Ruby a été la plus courageuse de nous deux à se lever, et venir s'asseoir à table, en attendant que Lisa s'y installe à son tour. Je l'ai suivie de près, et me suis installé à ses côtés. Lisa a fait du thé, et est venue s'écraser en face de nous, en sachant très bien qu'on allait la marteler de questions. C'est assez rare de la voir comme ça.

À moitié blême, à moitié rouge de colère. Sa lèvre tremblote. Elle a l'air complètement choquée, et en même temps, on dirait qu'elle a la rage. La dernière fois qu'elle était dans un état semblable, c'était à l'école primaire, quand ce fameux Nestor lui avait volé ses crayons de couleur. Le lendemain, plus aucun signe de vie de la part de cet enfant... Il avait 9 ans.

Bon. J'exagère, c'est vrai. On l'a seulement retrouvé avec une main rouge, imprimée sur sa joue, à côté d'une petite Lisa tout mignonne, qui coloriait sagement. Ah ! Que de bons souvenirs...

-En gros, commence Lisa après une profonde inspiration au caractère très animal, je revenais ici, et sur le chemin, un gros imbécile a essayé de me voler mon sac. Et je dis bien essayé, parce que je m'y suis accrochée comme un gosse à sa sucette, tu vois. Et puis, j'ai concentré toute la haine que je pouvais pour lui envoyer des ondes négatives. Au final, il a laissé tombé, et il s'est taillé en courant. Mais il était bizarre ce type ! Comme si il avait honte de me voler mon sac. Oh ! Et puis le plus fort dans cette histoire, c'est que je me suis égosillée comme un putois, et le gars qui passait en face, et bah il a rien fait, mais alors même pas esquissé le moindre regard, pour m'aider. Et je sais qu'il n'était pas sourd ! Rah ! Et la galanterie ? Et le sens de la justice !? Ils sont passés où, hein ? Petit chacal des enfers ! Si je l'attrape, je lui colle mon poing dans le pif, ou je ne m'appelle pas Lisa !

Pdv Lisa.

J'ai fini mon monologue endiablé, et je ne suis pas surprise de constater que Ruby et Mathieu ne savent pas comment réagir.

C'est vrai que c'est assez difficile de se mettre dans la peau d'une personne à ce moment là. C'est quelque chose qu'il faut avoir vécu.

Attention hein ! Je ne dis évidemment pas que si on ne subit pas de vols dans la rue, on rate sa vie. D'ailleurs, c'est plutôt positif de ne pas se retrouver dans ce genre de situations.

Ce que je voulais dire, c'est qu'on a tendance à ne pas pouvoir éprouver un degré correct de compassion quand ça ne nous est jamais arrivé. Vous pigez ?

"Non."

Non... Je me suis un peu embrouillée, c'est vrai. 

Bon. Plus sérieusement, ce que je voulais dire, c'est que Mathieu a envie d'éclater de rire, et essaye de se contenir au mieux, tandis que Ruby me sort son abominable petite phrase de circonstance :

Esclave des Vampires TOME IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant