Le Miroir

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Assise sur un des bancs du parc, je le vois arriver.

Je lui ai donné rendez-vous ici pour parler, il ne va pas en ressortir indemne. Plus d'un mois, depuis notre dernière rencontre, sans que je ne lui ai donné ma réponse.

Aujourd'hui, je l'ai.

Quand il arrive à ma hauteur, souriant, je n'attends pas pour l'assaillir aussitôt.

-Vincent, je veux le voir.

-Pardon ? s'étonne l'interpellé.

-J'ai rencontré ton associé, laisse-moi le voir.

Cette fois, Vincent ne bouge pas. Il ne me lâche pas des yeux, éberlué.

Je soupire, et sort de mon sac le miroir que son "coéquipier" (autre que Victor le secrétaire) m'a donné. Avant de le ranger aussitôt, pour éviter de le casser.

-Cet objet est-il supposé m'évoquer quelque chose ?

-Non. Enfin, son nom, peut-être. Il n'est pas impossible que vous ayez lu quelque chose à son propos. Le miroir de la Méchante Reine, énonçai-je.

Cette fois, le comte reste totalement sur le cul.

Je vois à son expression faciale que tout s'assemble rapidement dans sa pauvre tête.

-Oui, dit-il presque aussitôt. Il permet à son possesseur de s'introduire dans la tête d'un autre, et d'y lire ses pensées et ses souvenirs, n'est-ce pas ?

-C'est cela, oui. Votre ami me l'a donné pour que je puisse y retrouver ma mémoire.

-Je vois... lâche-t-il dans un murmure. Et qu'en est-il ?

-Et bien, répondis-je agacée. J'ai voulu me replonger dans mes souvenirs, mais il semblerait qu'il soit impossible de lire les souvenirs de quelqu'un s'il ne s'en souvient pas lui-même. En ce qui concerne vos souvenirs à vous, je me suis donné pour principe de ne pas m'aventurer dans la tête de quelqu'un s'il ne m'en a pas donné la permission.

Il hoche la tête, pensivement.

-Et lui, que vous a-t-il dit ?

-Il m'a défini votre version de la "dératisation" et m'a un peu parlé du rat dont il est question. Mon rapport privilégié avec, la malédiction, il m'a tout conté dans les grandes lignes.

Je le toise, calmement. Les bras croisés sous ma poitrine, j'inspire doucement.

Lui, il garde toujours sur son visage ce même masque indéchiffrable. Si ce n'est qu'il n'affiche pas son sempiternel sourire. J'en déduis qu'il est soit contrarié, soit déstabilisé, et ça me satisfait pleinement intérieurement.

Il remue doucement les lèvres, perturbé, mais pour une fois, le beau parleur ne trouve rien à dire. Quand il ne prépare pas soigneusement la situation, il ne se sent pas en sécurité, et je m'en délecte.

-Je peux vous montrer la conversation ? proposai-je pour mettre fin à ce spectacle certes délicieux, mais pas moins pitoyable.

Il me regarde, intensément. J'en déduis donc que oui.

Une nouvelle fois, je sors de mon sac le petit cadre sculpté dans du bois, et le pose sur une des tables de pique-nique qui se promène gaiement dans le parc.

Je pose mes mains sur ses flancs, ferme les yeux, et répète les mêmes mots dans ma tête.

"Lisa Hart, 12 juillet. Lisa Hart, 12 juillet. Lisa Hart, 12 juillet"

Je me concentre comme je peux, jusqu'à ce que je sente le bois chauffer sous mes mains.

Des premières images apparaissent. Je me recule, pour laisser le comte s'asseoir sur le banc, aux premières loges. Il fait abstraction de l'hygiène douteuse de l'endroit lorsqu'il s'y installe. Oui, décidément, je l'ai surpris. Il semble complètement absorbé par ce qui se passe, et ne prête attention à rien d'autre.

Esclave des Vampires TOME IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant