Chapitre 2

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Douze ans avaient passé, et mes visites au manoir s'étaient faites de plus en plus rare pour finalement être inexistantes. J'avais désormais dix-huit ans, et j'étais à trois années de mon départ définitif de Kervillais.

Cette journée-ci était une journée comme les autres. La surveillante vint réveiller notre dortoir, puis nous nous préparâmes et revêtirent notre robe grise. Ensuite, nous allâmes déjeuner, et enfin nous allâmes étudier.

Chaque dortoir était défini par tranche d'âge : les plus petites, de six à dix ans, faisaient parties du dortoir des rouges. Ensuite, de dix à quatorze ans, c'était le dortoir vert. De quatorze à dix-sept ans, c'étaient les jaunes. Et enfin, de dix-sept à vingt et un ans, on était dans le dortoir des bleues*.

Chaque dortoir était ensuite divisé par classes par années, puis chaque classe par bandes de dix élèves.

J'étais donc dans le dortoir des bleues depuis un an. Je m'entendais assez bien avec mes camarades de bande, même si certaines me trouvaient encore trop garçonne. J'étais particulièrement amie avec une bretonne d'origine anglaise, nommée Anne. Étrangement, si j'avais une tendance à contourner le règlement, Anne était docile ; si j'aimais le plein air et les armes, Anne préférait la broderie et la musique ; enfin, si je m'ennuyais à mourir en classe, Anne, elle, était studieuse et pendue aux lèvres de notre maitresse.

Ce jour-ci, j'étais particulièrement tendue. On était en aout 1870, et la guerre qui opposait la France à la Prusse avait débuté voilà un mois. Je savais que mon père y était. Il se faisait vieux, et cela n'était pas pour me rassurer. Anne me réconfortait, bien sûr, mais je me languissais de point avoir de nouvelles. Si bien, que je mangeais peu et avais le sommeil léger. J'avais maigris, ce qui me valait d'être houspillée par notre maîtresse ainsi que par notre infirmière, car je faisais souvent des malaises.

Alors que notre maitresse nous faisait la lecture de quelque poème de Lamartine, une surveillante toqua.

- Entrez !, fit notre maitresse.

- Madame, dit la surveillante, mademoiselle de Tréville est mandée** au bureau de la supérieure.

Aussitôt, comme piquée à vif, je me levai.

- Par qui ?, demandai-je.

- Tréville, apprenez à maitriser votre tempérament !, me houspilla la maîtresse.

- Je ne puis vous le dire, répondit la surveillante. C'est important, venez !

Je suivis, paniquée, la surveillante. Ce devait être grave... Avais-je fait quelque sottise ? Était-ce ma famille ? Tremblante, je pénétrai le bureau de la supérieure, Mme de Brice. Dans son bureau était... Henriette ! Ma nourrisse ! Elle me jeta un oeil surpris, affligé.

- Bah, ma p'tite sauvageonne ! T'es toute maigre !, s'exclama-t-elle. Où donc as-tu-mis ta chair ? Encore heureux qu'il te reste du mamelon !

- Madame, de grâce !, la réprimanda Mme de Brice.

- Oh, veuillez m'excuser !, répondit Henriette.

- Pour quoi m'avoir fait mandée ?, demandai-je.

Henriette se mordit la langue et interrogea la supérieure du regard, laquelle hocha lentement la tête.

- C'est...ton père... Il est rentré de bataille...mais dans quel état ! Il se meurt, Cendrine, et te veut à son chevet.

Tout s'effondra, moi y comprit, et je tombai dans les bras d'Henriette en larmes. Elle me caressa les cheveux, et, un peu radoucie, continua.

- Madame préférait que tu reste dorénavant au manoir. Tu sais, Bertille est partie au couvent, Antoinette a une foule de prétendants et Louis-Henri est parti chercher l'aventure à Paris...ton père qui va sûrement mourir, ou bien, s'il survit, il restera alité jusqu'à sa mort, je crois qu'elle commence à se sentir seule.

CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant