Chapitre 6 :

2.5K 210 4
                                    

Je toussotai, consciente du regard de tous sur moi.

- Vous connaissez le caractère taquin de Louis-Henri, bredouillai-je. Eh bien, je n'ai aucun prétendant ! De plus, quand bien même j'en aurais un, mon frère serait bien le dernier informé.

- Vous me blessez, Cendrine.

Louis-Henri me regarda, toute trace d'amusement évaporée. Nous restâmes ainsi, à nous regarder en silence, quand Henriette arriva, le rouge aux joues.

- Henriette ?, demanda Clarisse. Que se passe-t-il ?

- Ah, madame ! Un certain Edward Mouthampton est aux cuisines...il demande à parler à mademoiselle Cendrine...c'est urgent, parait-il.

Louis-Henri me souffla quelque chose comme : En effet, me voilà le dernier informé. Moi, j'étais trop préoccupée par ce nom...c'était le nom de jeune fille de la mère d'Anne, qui étais anglaise. Se pouvait- il qu'il soient parents ? Je me levai lentement, sans un regard ni pour Louis-Henri, puisqu'il me jugeait si mal, ni pour personne. Je suivis Henriette dans la cuisine. Qui était au juste cet Edward ? Dans la cuisine était un jeune homme frêle, habillé comme un garçon d'écurie. Il était assis sur une chaise et me tournait le dos. Il avait un chapeau, et des cheveux longs, bruns et bouclés attachés en catogan.

- Monsieur Mouthampton ? Vous me mandiez ?, dis-je timidement.

Il se retourna, et bien que je voyais mal ce visage, je ne pus douter. Anne. C'était Anne, déguisée, mais Anne tout de même. Elle sourit, et je me jetai dans ses bras.

- Anne ! Comment avez vous fui si vite ?, demandai-je.

- De nouvelles élèves arrivaient du Limousin, si je ne me trompe, dit-elle d'une voix amusée, alors j'ai profité de la distraction des autres pour m'éclipser... La grille n'était même pas fermée !

- Et vos vêtements ?

Anne leva la tête vers Henriette.

- Henriette m'a aidée à me les procurer. Je suis arrivée juste après votre départ, m'a-t-elle dit. Ainsi, je travaillerais aux écuries, et nous pourrons nous voir tous les jours !

- Oh, Anne !, m'exclamai-je.

Puis, je me dégageai de son étreinte pour aller enlacer Henriette.

- Merci, mille fois merci !, dis-je. Tu ne diras rien à Clarisse ni à personne, pas vrai ?

- Je serais muette comme une tombe !, affirma ma nourrisse.

Tournant la tête, je vis -malheureusement- la silhouette de Louis-Henri adossé au mur. Bras croisés, il eut l'ombre d'un sourire avant de s'avancer vers moi.

- Louis-Hen...., commençai-je.

- Donc, si j'ai bien compris, dit-il, ce Edward Machin-Chose n'est autre que votre amie de pensionnat déguisée.

Je fis un pas vers lui.

- Que faites-vous là ?, m'exclamai-je d'une voix rendue aigue par la peur.

- J'étais venu vous demander de monter, répondit tranquillement Louis-Henri. Le repas n'est pas terminé.

- Je vous en prie, ne dites pas aux autres pour Anne..., le suppliai-je.

Louis-Henri se radoucit. Il tourna enfin la tête vers moi, et promena un doigt sur ma joue.

- Je ne dirai rien, soyez-en assurée, dit-il. Mais si Bertille apprend cela, elle ne va pas se gêner. Vous devez vous défier d'elle, ma chère car elle n'aura de cesse d'épier le moindre de vos faits et gestes...jusqu'à trouver une faille.

Son doigt descendit jusqu'à ma nuque, et Louis-Henri s'était rapproché de telle manière que je sentais son souffle sur mon visage.

- Tenez vous droite et irréprochable jusqu'à l'enterrement de Guillaume, continua-t-il. Là, Bertille repartira au couvent, et de toute façon, vous ne pourrez être chassée puisque cette maison sera à vous...si elle ne l'est pas déjà, ma mie.

Louis-Henri ôta enfin sa main, et se recula d'un pas. Il m'offrit son bras que je pris à contre-cur tout en mesurant ses propos, puis nous saluâmes Anne et Henriette avant de rejoindre les autres.

Sur le chemin, nous restâmes silencieux. Louis-Henri regardait devant lui, comme un soldat allant au front, quand à moi, je fixait bêtement le sol. Il fut le premier à rompre le silence.

- Ne fixez pas ainsi le sol, c'est le meilleur moyen de vous trahir, me dit-il. Faites comme moi, redressez vous et essayez d'être naturelle.

- Eh bien mon naturel me dit qu'au fond je n'ai aucune raison de vous faire confiance !, répliquai-je. Lors de mes séjours ici, vous passiez votre temps à me tourmenter avec Bertille ; pourquoi devenez vous soudain mon allié ?

Louis-Henri soupira.

- Si Bertille agissait par méchanceté, moi j'agissais par affection pour vous, bien que vous n'ayez jamais compris cela. De plus, à quoi bon ressasser le passer ? Nous avons grandi, quant à ces trois ans qui nous ont malheureusement séparés, j'aimerais qu'ils nous rapprochent à présent.

Surprise de cette réponse, je restai muette quelques instants.

- Vous vous plaignez donc de notre séparation ?, murmurai-je. Pourtant c'est vous qui en êtes la cause.

- Dans ce cas j'en suis navré.

- Louis-Henri..., commençai-je avant de me faire interrompre par Clarisse car nous étions arrivés.

- Que voulait cet Edward, mon enfant ?, demanda-t-elle.

Je m'assis, bientôt imitée par Louis-Henri, et souris.

- Un poste de garçon d'écurie, répondis-je, surprise par ma facilité à mentir. C'est un parent d'une connaissance du pensionnat, alors comme il était dans la région, il a tout de suite pensé à moi.

Clarisse hocha lentement la tête, et je sentis, une fois de plus, le regard insistant de Lanvais sur moi. Mais que voulait-il, à la fin ? Nous étions passé au dessert, ce qui m'arrangeait, car cela signifiait que le repas allait finir. Henriette arriva avec les assiettes, et je fus la seule à la remercier, sous l'oeil mauvais de Clarisse. Devais-je oublier la politesse pour la simple et bonne raison que j'étais noble et elle non ? Jamais. Je finis rapidement mon assiette. C'était une part de fondant au chocolat, mais elle avait un gout amer puisque mon père n'était pas là.

- Puis-je disposer, mère ?, demandai-je.

- Où allez-vous ?, répondit Clarisse.

- Apporter de la compagnie à père, répliquai-je sur un ton de reproches.

- Bien. Vous pouvez.

Je me levai, et courus presque jusqu'au chevet de mon père. Après tout, c'était pour lui que j'étais ici. Non pour Clarisse et ses enfants.

CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant