Nancy. Cette ville ressemblait fort à Metz, à mon gout. Nous arrivâmes bientôt à une auberge, à temps, d'ailleurs, car mon ventre criait famine. Louis-Henri vendit les chevaux de Bertille et Anne et avec l'argent récolté il paya un garçon d'écurie pour veiller sur les chevaux qu'il nous restaient. Louis-Henri s'avança vers l'aubergiste, un gros homme barbu à l'air renfrogné.
- Herr ?, demanda l'aubergiste presqu'en grognant.
- Non, monsieur, corrigea Louis-Henri. Serait-ce possible de louer deux chambres pour une nuit ? Nous voyageons, avec ma femme et nos soeurs, voyez-vous, et avons besoin de nous reposer avant de reprendre la route.
- Bien sûr, répondit l'aubergiste soudain de meilleure humeur. Ça fera dix francs pour les chambres, et cinq pour les repas.
Louis-Henri lui tendit l'argent en grommelant. Puis, nous primes place à une table et il commanda du potage.
- Tss...cet aubergiste de malheur m'a volé quinze francs !, grommela Louis-Henri.
- Calme toi, Louis-Henri, dis-je en posant la main sur son bras. Il a demandé des francs, mais il aurait pu tout aussi bien demander des marks.
- Tu as raison, répondit Louis-Henri. Foutus Allemands ! J'espère qu'on aura la même chance à Bar le Duc.
- J'espère aussi, murmurai-je.
Anne toussota.
- Cette histoire de nom me tracasse, dit-elle. Devrons-nous les garder à Paris ?
Louis-Henri rit.
- Non, c'est uniquement en Lorraine, expliqua-t-il. Le nom de Tréville est connu ici, il ne l'est pas là-bas.
- Mais pourquoi faire passer Cendrine pour ta femme ?, demanda Bertille, lèvres pincées.
- Ne trouverais-tu pas suspect un homme en compagnie de trois jeunes femmes ?, répondit Louis-Henri. On pourrait me prendre pour un sale truand accompagné de ses filles de joie. Non, c'est mieux ainsi. Vous ne risquez pas d'être violées.
Anne avait tressailli en entendant "filles de joies". La pauvre.
Nous terminâmes le repas en silence et je montai me coucher, puisque j'aurais besoin de forces pour avancer jusqu'à Bar le Duc. Mais tout d'abord j'enfilai des vêtements masculins.
Lorsque je me réveillai, je vis que le soleil commençait à se coucher. Je supposai qu'il était près de 22 heures. Je me retournai et vis Louis-Henri encore endormi à mes côtés. Il avait l'air épuisé. J'allais me lever du lit quand une main se referma sur mon poignet. Je me retournai. Louis-Henri venait d'ouvrir les yeux. Il se redressa sans lâcher mon bras.
- Où compte-tu aller ?, demanda-t-il.
- Je ne sais pas, murmurai-je. Je ne voulais pas te réveiller.
Louis-Henri haussa les épaules sans toutefois me quitter des yeux. Il se leva et me prit les deux mains.
- Viens, dit-il dans un souffle.
- Où ça ?
Je me levai toute en lui adressant un regard interrogateur. Louis-Henri ouvrit la porte et m'entraina à l'extérieur. Je le suivis jusqu'à l'écurie où étaient nos chevaux. Il prit deux épées et m'en lança une. Je souris en comprenant qu'il voulait qu'on se batte comme autrefois. Louis-Henri me rendit ce sourire et nous commençâmes à nous battre. Bien sûr, nous étions à forces égales.
- Je suis soulagé, lâcha Louis-Henri.
- Soulagé de quoi ?, demandai-je.
- Que ces trois ans au pensionnat t'aient changés en vraie dame du monde, répondit Louis-Henri. Mais non, tu es toujours ma Cendrillon.
Je fronçai les sourcils.
- Est-ce un compliment ?, demandai-je.
Louis-Henri rit doucement et baissa son arme avant de s'approcher de moi.
- Bien sûr !, s'exclama-t-il. Je n'aime pas les femmes trop...femmes. Ça ne signifie pas non plus que j'ai hérité du vice italien*.
- Que dois-je comprendre par là ?
Louis-Henri détourna le regard.
- Ce que tu voudras bien, lâcha-t-il.
Je me mordis la lèvre.
- J'ai appris un peu après mon départ il y a trois ans que tu étais parti à Paris, dis-je. Pourquoi ?
- Tu avais dit que tu ne viendrais plus, répondit Louis-Henri. Je t'ai entendu le dire au portrait de ta mère, comme tu le faisais souvent. Sans toi, la vie au manoir aurait été beaucoup trop terne.
Je ne sus que dire. En partant, j'avais pensé que Louis-Henri serait heureux, puisqu'il ne cessait de me tourmenter. Il fallait croire que j'avais tord.
- Et dire que j'étais partie à cause de tes mauvaises blagues !, m'exclamai-je.
- Mes mauvaises blagues..., dit Louis-Henri d'un air pensif. Je dois avouer que je regrette assez mon comportement.
Je le regardai, surprise. Puis, Anne arriva, essoufflée bientôt suivie de Bertille.
- Anne ?, demandai-je. Que se passe-t-il ?
- Il se passe que pendant que vous causez galamment, dit Bertille, nous on est recherchés par la police. Mère a prévenu de nos disparitions. Il faut partir le plus vite possible.
Je claquai ma langue de mécontentement, puis Bertille et Louis-Henri montèrent sur un cheval chacun. Je montai aux côtés de ce dernier tandis que Bertille aidait Anne à monter. Nous primes bientôt la route en silence et quittâmes Nancy.
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Cendrillon
Historical FictionIl était une fois... Car tout conte commence ainsi. Sauf que, on le sait très bien, la vie n'est pas un conte de fée. Encore moins la mienne. Je suis Cendrine De Tréville, mais tout le monde m'appelle Cendrillon, et voici mon histoire. La vraie.