Chapitre 3

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J'avais dix ans... Je venais de me brouiller une fois de plus avec Louis-Henri... J'en avais assez.

Non, à quoi bon ressasser le passé ? Si ce n'est se faire plus de mal encore ?

Il faisait froid. C'était l'hiver. Père était absent. J'étais seule avec Clarisse et ses enfants...

Lentement, je descendais les marches d'ébène, en frôlant de ma main la rampe en chêne. Du bois, encore du bois, toujours du bois... Cela finirait-il, un jour ?

La chambre où ma mère avait autrefois couché était délaissée... Même par les domestiques. J'étais la seule à la visiter, lors de mes rares visites au logis familial. C'était une grande salle, sombre car les rideaux étaient tirés. Les murs étaient nus. Le sol et les meubles étaient recouverts d'une fine couche de poussière, accumulée depuis presque dix ans à présent.

La mine sombre, je pénétrai dans le petit salon, inchangé depuis douze ans. Le même où, une fois, j'avais grimpé sur le dossier d'un fauteuil pour conter certains exploits à Antoinette...avant que père ne vienne me punir.

Accroupie devant la cheminée, je frissonnai de froid. Dix ans qu'on avait allumé le feu ici, et il restait à présent de nombreuses cendres dans l'âtre, seuls témoins du temps où mère vivait, et seules capables de la ressusciter un peu. Quand me venaient des peines que je ne voulais raconter à Henriette, je venais ici. Mère, bien que je ne l'ai point connue, était ma confidente...c'était ma manière à moi de la faire revivre.

Quatre visages se levèrent vers moi. Antoinette avait embellie telle une princesse espagnole. Je lui trouvai des faux airs de Georges Sand, bien que je n'aies vu l'auteur que dans une gravure.

Bertille aussi était belle...mais point d'une beauté douce et alanguie telle sa sur, mais d'une beauté sévère. Elle me faisait tant penser à Mme de Maintenon... Peut-être elle aussi finirait-elle favorite de quelque haut placé...

Et Louis-Henri ! Aucun mot n'eut pu le décrire décemment... Et je songeais à nouveau à l'enfant rebel et insupportable qu'il avait été.

Je sanglotais. Lamentable pour la future Jeanne d'Arc que je voulais être... Quelqu'un était dans la pièce, puisqu'on ouvrit la fenêtre et qu'on tira les rideaux. Mais qui ? Je n'eus pas le temps de réagir : une brise souffla, faisant s'envoler des cendres dont je fus malgré moi couverte. Un rire méchant éclata.

- Tiens ! Te voilà belle ! Je viens de te trouver un nouveau nom, fillette, s'exclama Louis-Henri. Cendrillon ! Qu'en dis-tu ?

Je secouai la tête afin de chasser ce souvenir, et acceptai machinalement le bras que mon beau-frère me tendit. Il me conduisit à un fauteuil, le plus près du feu. Surprise, je restai muette cependant.

- Comme vous voilà faible ! Vous tremblez !, me dit-il d'un air soucieux.

- Non point, mon frère, répondis-je. Mais j'avoue être en émoi devant l'état de père.

Je sentis alors son bras m'enserrer les épaules.

- Ma Cendrillon !, dit-il presque avec affection. Il est vrai qu'il est en un piètre état, mais notre bon père a fait son temps ! Il vous faut le laisser partir.

Bertille se racla la gorge.

- Je crois, s'exclama-t-elle en remuant son thé, que de telles familiarités n'ont pas lieu en cet endroit...et en ce moment.

- Ma sur, vous avez toujours été si stricte, répliqua Louis-Henri, mais avez-vous du coeur, sous cette robe noire si austère ? Si vous vous destinez à la vie de nonne, ce n'est point notre cas ! Alors laissez nous vivre un peu !

Un certain malaise s'emparait de moi. Depuis quand Louis-Henri et moi nous entendions bien ? C'était à lui que je devais mon surnom de Cendrillon ! Et puis Bertille et lui s'en étaient donné à coeur joie pour me rabaisser avec ce nom.

Père devait arriver ce jour-d'hui. J'avais si hâte ! J'allais et venais du petit salon à ma chambre, d'où je pouvais voir l'entrée. Une calèche... Père ! Je courus jusqu'à l'entrée, quand j'aperçus, trop tard, le pied de Bertille. Je m'étalais à plat ventre par terre, sous les rires de Louis-Henri et Bertille.

- Alors, Cendrillon ? On ne sait plus marcher ?, se moqua mon beau-frère.

Antoinette sourit tristement.

- Allons !, dit-elle. Nous sommes tous réunis ! Nous n'allons point nous fâcher pour des broutilles !

- Cela est bien dit, ma sur, s'exclama Louis-Henri.

Je fronçai les sourcils. Clarisse, d'ordinaire si bavarde, était restée silencieuse. Cela n'annonçait rien de bon. Tout de noir vêtue, elle contemplait la fenêtre. A quoi songeait-elle ?

Bientôt, Louis-Henri partit en me glissant un léger papier dans la main. Curieuse, je vérifiai qu'on ne m'épiait : or, Bertille et Antoinette jouaient aux cartes, et Clarisse était perdue dans ses songes. Discrètement, j'y jetai un oeil.

CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant