Chapitre 7

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Je poussai lentement la porte. Les couvertures qui couvraient mon père remuèrent et je pus alors voir son visage. Un visage émacié, cireux. Bien, bien loin de ce qu'il avait était par le passé.

- Cendrine ?, appela-t-il.

- C'est moi, père. Avez-vous déjà mangé ?

Le vieillard hocha lentement la tête, tandis que je m'asseyais sur le lit et prenais sa main tremblante.

- Quand je ferme les yeux, je revois Forbach et les troupes allemandes !, s'exclama mon père. Quand je pense que si Frossard n'avait pas donné la retraite tout de suite, nous aurions gagné* ! C'est hélas trop tard, et nous voilà Allemands !

C'était vrai : je n'y avais pas pensé. Mais, et Kervillais ? Cette maison accueillait des jeunes filles de toute la France ; qu'allait devenir ce pensionnat ? Et nous ? Qu'allions-nous devenir ?

- Quel déshonneur ! Plutôt mourir que d'être à la botte de ces chiens bosches !

- Père, grondai-je, ne dites pas cela voyons. Nous pouvons toujours partir pour la Champagne ou ailleurs...dès que vous vous serez remis !

Mon père eut un sourire triste.

- On ne t'a pas dit ?, demanda-t-il. Jamais je ne me remettrais. J'ai été salement blessé, ce lit sera mon lit de mort. Je ne sais exactement quand je trépasserais. Les médecins ne sont pas clairs à ce sujet.

- Père..., commençai-je en sanglotant.

- Et toi, tu es plus à plaindre que moi, poursuivit mon père. C'est tard, je le sais, mais je m'excuse.

Je ne sus que dire. De quoi s'excusait-il, au juste ? Mon père eut une violente quinte de toux.

- Oh, non, père..., murmurai-je.

- J'ai été odieux, continua mon père en haletant. Je t'ai ignorée lorsque ta mère est morte, et j'ai voulu te changer quand je me suis remarié. Et malgré tout, tu es là. La seule, sans doute. Eux, ils n'attendent que mon décès.

Père fut repris d'une quinte de toux. Non, pensais-je. Il ne pouvait pas mourir. C'étaient des billevesées, un cauchemars dont j'allais me réveiller. Il allait guérir, se lever, et nous nous promènerons à nouveau de cheval. La Lorraine ne serait pas envahie.

Et pourtant, non. Tout cela était bien réel. J'essuyai une larme, tout en sachant qu'il y en aurait d'autres.

- Clarisse..., ajouta mon père, elle voudra sûrement aller à Paris avec Antoinette et toi...pour vous trouver un bon parti à vous deux...elle part de bonnes intentions, mais...je sais que tu n'es...pas...faite...pour le mariage.

- Père..., commençai-je.

- Vas-t'en !, s'exclama-t-il. Fuis avec Louis-Henri. Parce que, même si tu refuse de la suivre, Clarisse peut trouver un moyen de t'y contraindre. Si j'ai abandonné l'idée de faire de toi une jeune femme prête à marier, elle, par contre, a toujours ce dessein.

Mon père semblait exténué, comme vidé de ses forces.

- J'en ai parlé avec lui...c'est un bon garçon...vous devrez partir dès la nuit tomber...

Ce furent ses derniers mots avant que mon père ne s'endorme. Chaque respiration était accompagnée d'un long râle. J'étais effondrée devant cet homme de quarante ans qui semblait en faire vingt de plus.

Puis, je repensais à ses paroles...ainsi, c'était cela, la raison pour laquelle Louis-Henri voulait me voir en secret ? Tout devenait tout de suite plus clair. Je quittai la chambre en silence. Si je devais partir, autant emmener Anne avec moi. Alors je décidai de me rendre aux écuries. Puisqu'elle y travaillait, il était logique qu'elle s'y trouve.

CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant