CHAPITRE 1 : Un fantôme piégé sur Terre.

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Comme dans un film au ralenti, les images semblaient bouger avec une lenteur irritante. Les couleurs étaient trop vives et le bruit était omniprésent. Il finissait par s'infiltrer dans les esprits, sans que personne ne puisse s'en couper. Il faisait tout simplement partie du décor et était accepté par la majorité. Pourtant, Lukas ne supportait plus ce bourdonnement incessant, il se sentait agressé par le monde. Il s'efforça de respirer par la bouche, afin de calmer les battements de son cœur affolé. Les voix. Les pas. Les rires. La chaleur. Tout l'assaillait sans ménagement. Il agrippa nerveusement ses bagages et s'empressa de rejoindre le hall de l'aéroport. Il avait oublié à quel point le soleil de Californie pouvait être brûlant. Déjà, il venait à regretter l'humidité de l'Angleterre. Tout va bien, s'efforçait-il de se rappeler régulièrement.

Son regard sombre scrutait la foule avec une certaine avidité, à la recherche de sa famille. Il trouva rapidement ceux qu'il cherchait et, aussitôt, il se détendit. Naturellement, ce fut elle qui le repéra la première. Lukas vit les lèvres de sa petite sœur s'ouvrir dans une exclamation qui se perdit dans la foule. Il laissa tomber ses bagages sans aucune hésitation et lui ouvrit ses bras pour la serrer contre lui. Son parfum à la pêche chatouilla ses narines et l'assaillit de souvenirs. Son corps se réchauffa après de longs mois de gel. Le trou dans sa poitrine se combla, mais ce n'était pas assez pour soigner la plaie béante. Il sentait Hayden trembler dans ses bras, ses fines épaules étaient secouées de sanglots et de rires incontrôlés.

— Lukas, souffla-t-elle en essuyant ses larmes. J'avais promis de ne pas pleurer.

— Ce n'est rien, pouffa-t-il en la relâchant.

L'ancien soldat regarda le petit bout de femme qu'il avait laissée derrière lui, deux ans plus tôt. Fine et élancée, Hayden arborait toujours son sourire lumineux. Une cascade de boucles rousses encadrait son visage aux traits fins. Ses grands yeux émeraude étaient emprunts de douceur et de bienveillance. Elle était toujours la même, sans artifice ni fioriture. Son petit nez, légèrement retroussé, était parsemé de taches de rousseur claires et agrémenté d'un coup de soleil.

— Tu m'en veux si je ne lâche pas de petite larme ? interrogea Aksel, amusé.

Lukas secoua la tête et le serra contre lui. Il constata que son frère avait pris encore quelques centimètres. Ses cheveux châtain clair avaient poussé et ondulaient légèrement. Son éternel sourire espiègle étirait un coin de ses lèvres et ses yeux bleus pétillaient derrière le verre de ses lunettes. L'ancien soldat ferma les paupières quelques secondes, afin de cacher son émoi. Revoir sa famille était beaucoup plus difficile qu'il ne l'avait imaginé. Il avait envie de se laisser aller, de gagner les bras réconfortants de sa mère.

Son regard d'encre se leva vers cette dernière. Éléonore était toujours impeccable dans son tailleur noir. Ses cheveux blonds étaient relevés en un chignon élégant et ses yeux chocolat le contemplaient avec amour.

— Maman, murmura Lukas.

Tout à coup, il eut envie de pleurer. Sa gorge se serra douloureusement et il voulut la supplier de lui pardonner d'être parti. Il aurait aimé lui dire qu'il regrettait ce qu'il avait fait. Ce qu'il avait vu. Ce qu'il était devenu. Cependant, il se contenta de fermer les yeux et de la prendre dans ses bras, cette femme qui avait tant prié pour que son fils revienne. Bientôt, il sentit des bras les enlacer fermement et il dut rassembler toutes ses forces mentales pour ne pas verser de larmes lorsqu'il reconnut son père. Tout allait bien, il était revenu. Et pourtant, ses mains tremblaient et le trou dans sa poitrine ne se referma pas entièrement.

Lukas finit par secouer lentement la tête et se recomposa un sourire en se détachant de ses parents adoptifs. Aksel avait déjà empoigné ses valises et Hayden soulevait tant bien que mal son gros sac de voyage. Il esquissa un geste pour l'aider, mais elle lui lança un regard noir, lui signifiant clairement qu'il n'avait pas intérêt à intervenir. Les Winchester quittèrent l'aéroport, pressés de quitter ce lieu empli de souvenirs sombres. Ils se dirigèrent vers une voiture qui les attendait et, aussitôt, les bagages furent pris en charge par le chauffeur.

Perdu dans ses pensées, Lukas posa son front contre la vitre teintée et regarda défiler le paysage. Les buildings, les hôtels de luxe, les restaurants, les yachts qui mouillaient dans le port, tout lui paraissait désormais fade et sans saveur. Il leva les yeux vers son reflet. Ses cheveux ébène avaient bien besoin d'une petite coupe et sa peau pâle faisait tache au milieu des Californiens. De larges cernes soulignaient son regard et ses lèvres étaient sèches. Ses yeux, noirs comme l'encre, étaient bordés de longs cils foncés. Ils avaient perdu leur éclat, semblaient éteints, ternes. Lukas n'était plus que l'ombre de lui-même. Il était un fantôme piégé sur Terre.

Le brun était conscient des regards que lui jetait sa famille, à la dérobée. Cependant, il n'osait pas les affronter directement. Tous affichaient un sourire, mais personne n'osait engager de conversation. Ils le prenaient avec des pincettes, ne sachant pas jusqu'à quel point il était déconnecté de la réalité. Une fois de plus, un poids enserra douloureusement sa poitrine. Il devait à tout prix se reprendre. Après tout, il avait une chance inouïe d'être ici.

Lukas leva alors les yeux vers sa mère et lui adressa un sourire apaisant. En réalité, elle n'était pas sa mère biologique. Ici, personne n'avait le même sang. Les Winchester l'avaient adopté alors qu'il avait dix ans. Ils avaient déjà recueilli Aksel quelques années plus tôt, et les deux garçons avaient grandi ensemble. Enfin, Hayden était venue agrandir la famille quatre ans plus tard, à l'âge de douze ans.

— Nous sommes arrivés.

La voix de Hayden lui paraissait si lointaine qu'elle semblait provenir tout droit d'un songe. Le brun secoua légèrement la tête et sortit de la voiture. Aussitôt, il inspira le parfum de l'air marin. Le chant des mouettes se mêla à celui du vent dans les palmiers. Ces sensations lui apportèrent un sentiment de sécurité qui lui manquait jusque-là. Tous ses éléments étaient familiers, rassurants. Le grand jardin était parfaitement tondu, agrémenté de parterres de fleurs colorées, savamment organisés et entretenus. Un chemin de gravillons blancs menait à la villa, typique des beaux quartiers de Los Angeles.

— Tu dois sûrement être fatigué, supposa sa mère en pénétrant dans sa demeure. Va te changer et te reposer, je t'appellerai pour le dîner.

Lukas hocha la tête, reconnaissant. Malgré sa joie de retrouver sa famille, il était soulagé de pouvoir s'isoler un peu. Il s'était préparé à ces retrouvailles, mais il n'avait pas envisagé que ce sentiment de vide persisterait. Le cœur battant, il monta les deux étages qui le séparaient de sa chambre et poussa la porte. La nostalgie le rattrapa aussitôt. Rien n'avait changé ici, tout était exactement à sa place. À sa droite, tout un pan de mur était constitué d'une bibliothèque remplie de livres en tout genre. Son lit reposait en face, où le mur était recouvert de photos des années précédentes. Devant lui, une immense baie vitrée lui présentait l'océan, à perte de vue. Avide, Lukas traversa la pièce et se rendit sur son balcon, où il inspira à plein poumon. Le vent chaud s'engouffra aussitôt dans ses cheveux et il ferma les yeux, offrant son visage au ciel. Il entendait le rouleau des vagues, qui venaient s'échouer sur le sable. Il avait tellement eu peur de ne plus jamais les entendre.

Le brun finit par regagner l'intérieur de sa chambre, revigoré. Dans un coin, se trouvait un espace avec son bureau, sur lequel reposait son ordinateur. Son télescope n'avait pas bougé d'un centimètre, ni son piano à queue. Il s'approcha de l'instrument et passa un doigt tremblant dessus, sans oser appuyer sur une touche. Cela faisait plus d'un an qu'il n'avait pas joué. Lukas s'en détourna finalement et entra dans la salle de bain adjacente. Il se déshabilla et croisa son reflet dans le miroir. Une cicatrise d'une quinzaine de centimètres barrait son flanc droit et son dos était en partie brûlé. Il s'obligea à soutenir cette image, à s'imprégner des souvenirs qui surgissaient. La culpabilité était là, elle le rongeait lentement et il n'avait pas la volonté de la combattre totalement.

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Bonsoir ! Voici le premier chapitre de Toucher le ciel. J'espère qu'il vous plait. Comme vous l'avez vu, on commence plutôt en douceur avec quelques éléments de bases, pour placer Lukas dans le contexte. Pour information : l'histoire commence en 2016, date à laquelle j'ai commencé à l'écrire.

N'hésitez pas à souligner mes fautes si vous en voyez. 

⭐️SAOT

Toucher le ciel [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant