BONUS 1 : Alexeï.

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Un froid glacial s'était installé depuis plusieurs semaines en Russie. Moscou était recouverte de neige et de glace. La ville semblait avoir revêtu un épais manteau blanc. De gros flocons tombaient du ciel, d'un gris australe, froids et duveteux. Alexeï appréciait le silence du quartier où il se trouvait. Autour de lui, les cheminées fumaient et, déjà, il apercevait les lumières chaleureuses des foyers. Il n'était que seize heures, mais la luminosité avait considérablement baissé.

Le blond remonta son écharpe sur son nez, dans l'espoir de se protéger un peu mieux du froid. L'air glacial lui piquait la peau, malmenait ses blessures. Son œil droit était rougi, sa paupière était gonflée et arborait une vilaine couleur noire. Il avait deux points de suture à l'arcade sourcilière, une pommette gonflée et la lèvre inférieure fendue. Avec sa carrure impressionnante et ses bleus, il avait l'air d'un gros dur. Pourtant, sa démarche était douloureuse. Il essayait de ne pas boiter, malgré son genou écorché et ses côtes fêlées. Finalement, il ne s'en sortait pas si mal, pour quelqu'un qui avait été méticuleusement tabassé.

Pour la première fois de sa vie, Alexeï avait peur de lui-même et de la folie des hommes. Il se sentait à présent vulnérable, comme si son homosexualité se lisait sur son front. Il prenait conscience du fait d'être en danger, simplement parce qu'il préférait les hommes. C'était effrayant de se faire agresser pour quelque chose qu'il ne contrôlait pas et qui aurait pu le rendre heureux. Le blond frissonna en se remémorant malgré lui les injures. Les coups de poing. Les coups de pied. Ses agresseurs s'étaient acharnés sur lui, allant jusqu'à saisir une barre de fer pour tenter de lui briser les os.

L'humiliation était d'autant plus écrasante qu'il n'avait aucun droit de réclamer justice. Être homosexuel n'était plus un crime en Russie depuis les années 1990. Néanmoins, il n'existait aucune loi réprimant les discriminations et persécutions envers sa communauté. Son agression n'avait donc absolument rien d'illégale. Pour la première fois de sa vie, Alexeï ressentait de la honte, ainsi qu'une réelle crainte. Il avait eu vent des rumeurs sur les chasses aux homosexuels menées en Tchétchénie, au nord-ouest du pays. Certains parlaient de l'existence de prisons secrètes, de torture, d'enlèvements et d'assassinats. La peur lui nouait le ventre. Il n'osait pas avouer à ses parents les réels motifs de son agression. Il leur avait raconté qu'il avait été victime d'un simple racket.

—Bonjour, je vais prendre quatre hellébores blancs s'il vous plaît, demanda l'étudiant à la fleuriste.

Il aurait aimé en prendre plus, mais il n'avait pas les moyens d'acheter un bouquet de ces « roses de l'hiver ». La jeune femme hocha la tête et s'empressa de préparer la commande. Alexeï la remercia et paya avant de quitter la boutique. Aujourd'hui était le jour où il tournait la page. Son amour pour Lukas s'était amoindri, après huit mois loin de lui, jusqu'à se transformer en une simple amitié. Il s'était fait à l'idée que le brun ne lui retournerait jamais ses sentiments. Il en était un peu triste lorsqu'il y pensait, mais son ami avait l'air heureux avec Ash. C'était le principal.

Une nouvelle fois, le silence l'entoura. Seule la neige qui crissait sous ses pas dérangeait le calme environnant. Mais Alexeï trouvait ce son réconfortant et familier. Il poussa finalement la grille du cimetière et avança jusqu'à la tombe des Arazov. Il ne savait pas très bien pourquoi il avait eu besoin de venir ici. Il avait l'impression de tourner une page de sa vie en venant visiter les parents de Lukas. C'était comme lui dire au revoir à lui.

Le blond balaya la neige de la pierre tombale. Il n'était pas du genre à parler à voix haute pour extérioriser. Il se contentait de penser, même si ça ne le soulageait pas autant qu'il aurait aimé. Alexeï sentit les larmes lui monter aux yeux. Il se sentait complètement perdu, comme si sa vie lui avait été dérobée en même temps que sa dignité. Son sentiment d'insécurité persistait, si bien qu'il se demandait s'il n'allait pas essayer d'aimer les femmes.

Toucher le ciel [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant