Je réalisai que j'avais dormi comme une souche. Pourtant, en me levant, j'avais comme un sentiment de rancœur. Cela me démangeait.
Je pense que j'avais l'impression d'en vouloir à ma mère, en fait. Une sensation qui me poignardait le cœur, créant une sorte de vide en moi. J'avais le sentiment qu'elle m'abandonnait, me laissant seule dans ce foyer pour Utiles. Mais ce n'était pas vrai, et je devais considérer le fait d'aller au foyer comme un privilège. Et pourtant...
Je me levai et inspectai mon reflet. Il me renvoya l'image d'une jeune fille blonde et frêle. On aurait dit que mes yeux verts me poignardaient à travers la glace. Peut-être était-ce pour me punir de quelque chose. Mais de quoi ?
Je faisais tout pour devenir la fille que je voulais être. Une Utile parfaite, gentille, drôle et généreuse. Malheureusement, je n'étais rien de tout ça. Au foyer, il allait falloir que je fasse de sérieux efforts de sociabilité...
Allez, au moins généreuse.
Mais c'était dur. J'avais suffisamment de problèmes pour m'occuper de ceux des autres. J'étais plus dans le genre ours de caverne que celui de fille ouverte et sympathique.
Je me coiffai rapidement et appliquai
scrupuleusement la Subtance bleue sur mes dents. En fait, il s'agissait d'une poudre bleue révélant les tâches sur les dents, et les nettoyant en un clin d'œil. Heureusement, je n'en avais presque pas -je m'étais soigneusement occupée de ma toilette, ces derniers temps. J'enfilai un jean et une chemisette rose.Mon train partait dans une heure et demie. J'avais encore du temps devant moi. Pour m'occuper, je ré-inspectai ma valise. Sauf que je l'avais déjà vérifié quatre fois. Tout y était. Normalement, je n'allais manquer de rien. Je tournai donc en rond dans ma chambre, en attendant que les minutes passent. Mais cet exercice me faisait du mal psychologiquement, car je savais que j'allais tout quitter. Tout quitter... Cette pensée me fit monter les larmes aux yeux. Non. Ce n'était pas le moment de craquer. Alors, je descendis à toutes vitesses, pris
un papier et inscrivit ce mot :Maman, je suis partie. Ce n'est pas la peine de te lancer à ma poursuite, je dois déjà être dans le train m'emmenant au foyer à l'heure qu'il est. Ne t'inquiète pas, je gère. Dès que je serai arrivée, j'essaierai de t'appeler.
Je t'embrasse,
Cille
Quand j'eus terminé, je me ruai dehors en prenant ma valise Je ne supportais pas les adieux, et il valait mieux que je parte sans ma mère. Mais ce n'était pas cette raison qui m'avait poussé à quitter ainsi ma maison. En vérité, je savais pertinemment que je n'aurai pas été capable de rester une minute de plus chez moi tout en sachant que... non. Ce n'était plus chez moi. A partir de maintenant, j'appartenais au foyer. Cette maison n'était plus la mienne. Je lui étais étrangère, et il n'y avait plus de raison de rester ici. Ce fut sur ses pensées que je fermai soigneusement le portail de chez moi et que je m'engageai dans mon impasse.
Je respirais régulièrement en comptant de quatre en quatre pour empêcher les milliers de pensées de s'incruster dans mon cerveau. Je leur fermai la porte, leur interdisant d'entrer. Du coup, j'avais l'impression qu'elles cognaient violemment mon esprit, cherchant une fissure par laquelle se faufiler.
Une légère brume avançait lentement dans la rue. Comme une sorte de vapeur qui voulait m'obliger à faire demi-tour. Au fond de moi, c'était ce que je voulais. Mais je ne le pouvais pas. Alors je continuais, traversant cette brume. En comptant de quatre en quatre pour occuper mon esprit agité. Et en ne pouvant pas m'empêcher d'énumérer les choses que j'allai perdre une fois entrée au foyer : Ma chambre. Mon école. Ma ville. Maman. Ma vie.
VOUS LISEZ
Les Insoumis
Ficção CientíficaCille a toujours été ce qu'on exigeait d'elle. C'est à dire une Utile (une personne entièrement soumise à la société). Mais à côté de cela, il y a les Inutiles. Les Inutiles qu'on méprise, qu'on discrimine et qu'on emprisonne. Et puis il y a le be...