Matiass était étendu sur un lit. Les humanoïdes infirmiers étaient aux petits soins avec lui : ils bandaient son visage ensanglanté, frottaient sa bosse d'un coton imbibé d'une étrange substance verte. Cela semblait faire du bien à mon amoureux, je l'entendais parfois soupirer de plaisir.
Moi, j'étais appuyée contre un mur et j'assistai à cela. Une serveuse m'avait déjà montré ma chambre -pardon, la chambre de Matiass et de moi. Il s'agissait d'une petite pièce blanche et circulaire. Le mobilier était très simple : un modeste lit double, une armoire et une coiffeuse. Il y avait également une salle de bain, dans lequel une douche d'air chaud trônait. J'avais souvent entendu que l'air brûlant avait des vertus très positives sur le corps, que l'eau ne pouvait quant à elle pas satisfaire. Du coup, j'avais très envie d'essayer cette douche, mais le devoir m'en empêchait : je devais veiller sur Matiass.
Je poussai néanmoins un soupir de regret quand je vis mes mains crasseuses et quand je sentis mes cheveux blonds se coller à mon front à cause de la transpiration. Après cette journée de marche, mon teint était plus hâlé par le soleil de la journée, et mon visage plus abîmé par le froid de la nuit. Mon cou, avant si pâle et si délicat était à présent bronzé et muni de deux marques rouges laissées par les doigts de l'aubergiste.
Une serveuse passant par là remarqua mon désarroi et me proposa de me reposer. Je déclinai cette invitation poliment, expliquant que je devais rester près de Matiass. Elle me sourit et me dit qu'elle prenait la relève. J'avais tellement envie de prendre soin de moi que je ne protestai pas et montai l'escalier de l'auberge à toutes vitesses. Je posai mon doigt fin sur la porte. Cette dernière reconnut mon empreinte digitale et s'ouvrit automatiquement.
Soupirant d'aise, je m'écroulai sur mon lit double. Un sentiment de fierté se propagea dans mon cœur : grâce à moi, Matiass et moi bénéficions d'une nuit gratuite à l'auberge. Cela devrait nous remettre de nos émotions pour être en forme demain. Je savais néanmoins que ce privilège ne se présenterait pas deux fois, et que c'était la toute dernière fois que nous en bénéficieront. Alors autant en profiter !
Je me levai et me dirigeai vers la douche. La porte de la salle de bain se ferma derrière moi, produisant un double clic. Je compris qu'elle était verrouillée. Inquiète d'être enfermée, je m'approchai de nouveau d'elle ; à mon grand soulagement, elle se rouvrit.
Je m'avançai timidement dans la salle de bain et me déshabillai. Je mis ma chemise rose dans le lavabo et laissai couler l'eau. Les tâches disparurent en un clin d'œil et j'esquissai un sourire, satisfaite. J'entrai dans la cabine de douche et allumai l'air chaud.
Ce fut comme une force surgissant de nulle part qui apparut, commençant à me masser les épaules. Je sursautai bêtement et me retournai. Evidemment, il n'y avait personne. Il fallait que je me détende, bon sang ! Je m'assis dans la cabine et laissai l'air chaud m'envahir, s'emparer de tout mon être, de tous mes problèmes. La chaleur me faisait tourner la tête, mais je me laissai emporter dans cette sensation pas si désagréable après tout, abandonnant mes angoisses, mes colères.
Une demi-heure plus tard, je me vêtis d'un peignoir, essorai mes cheveux et pris mes vêtements trempés pour les faire sécher. Cette douche m'avait fait un bien fou, je me sentais vraiment mieux.
Je fermai les yeux. Quand Matiass et moi seront à Asghet, tous mes problèmes auront disparus. Les autorités ne penseront pas à me chercher là-bas, et, combien même ils le feraient, je suis certaine qu'ils ne me trouveront pas parmi tous ces Inutiles. Oui... S'enfuir était la solution.
Quant à ma mère... Son bannissement m'avait fait vraiment mal, mais, en y repensant, cela semblait sonner tellement faux... Comme si la voix avec lequel elle avait prononcé ces terribles paroles ne lui appartenait pas. Avait-elle été contrainte, manipulée ? Mais par qui alors ?
Perdue dans mes pensées, je ne vis pas Matiass arriver. Il fit entendre sa présence par un toussotement et aussitôt je lui sautai dans les bras. Il était dans un bien meilleur état que quelques heures auparavant : sa bosse avait baissé de volume à moitié, disparaissant presque, et son visage ne semblait plus le faire souffrir. « Ce truc vert qu'ils m'ont appliqués sur le visage... Je te jure, c'est de la magie ! », souffla-t-il, excité comme un gamin. Je ris doucement et le dirigeai vers la salle de bain.
- Que veux-tu me montrer ? Sourit-il.
- La douche. Viens.
Je lui expliquai le fonctionnement et lui proposai d'en prendre une, lui garantissant que cela procurait un bien fou. Au début, il refusa, mais j'insistai tellement qu'il céda. De nouveau, je m'allongeai sur notre lit tandis que la porte de la salle de bain s'était verrouillée.
Ce fut le doigt de Matiass caressant mon front qui me réveilla. « Il est quelle heure ? » demandai-je, dans les vapes.
- Vingt-trois heures, me répondit Matiass en abordant éternellement son petit sourire si craquant, révélant ses fossettes. Tu as sauté le repas. Tu as faim ? Je peux aller te chercher à manger si tu veux.
- Non... ça va, merci.
Il hocha la tête et s'allongea dans le lit, m'invitant à venir moi aussi. Je ne me fis pas prier et je me blottis dans ses bras, la joue collée contre son torse. J'entendais son cœur battre régulièrement.
Comme à son habitude, il caressait ma joue de son index, provoquant chez moi de délicieux frissons. Puis, dans un élan de folie, sa main descendit jusqu'à mon épaule, et enfin se posa sur le bas de mon dos.
Je réfléchis alors. C'était la dernière fois que nous avions une nuit de qualité. Et si nous en profitions... à cent pour cent ?
- Enlève ton T-shirt, lui soufflai-je alors.
Il me regarda, d'abord étonné, puis s'exerça. J'ôtai également mon peignoir. Il me serra contre lui avec douceur, et en même temps avec la fermeté qui le caractérisait.
Toute ma vie, je me souviendrai de cette nuit. De cette nuit si douce, sans aucun doute la meilleure de toutes les nuits.
Un coup c'était lui qui dirigeai tous nos mouvements, un autre coup c'était moi. Tout cela en silence, avec juste nos deux souffles mêlés.
Jamais l'un ne forçait l'autre, et vice-versa.
Ce fut sur ces sensations de bonheur intense que je m'endormis, lovée contre lui.
Des bruits de pas et des voix me réveillèrent soudain. Le plus discrètement possible, je me détachai de l'étreinte de Matiass avant de me rhabiller pour aller voir ce qui se passait. Tous ces bruits venaient du couloir, sûrement un étage plus bas. Mais j'avais l'oreille fine, alors écouter ces voix parler ne me posait pas de problème. Je reconnus la voix de la serveuse qui m'avait indiqué la douche, mêlée à d'autres voix masculines. La discussion entre eux me glaça alors :
- Je vous assure que jamais nous n'avons accueilli de Cille Dwight ! Mon mari s'est sûrement trompé ! s'exclama la serveuse.
- Pourtant sa description correspond exactement à la jeune fille qui est venue dans votre auberge, rétorqua une autre voix masculine.
- Elle n'est plus là, répondit sombrement la serveuse.
- Ah ? Vraiment ?
J'entendis un coup, suivit par un cri féminin.
Mes doigts se crispèrent sur la porte quand je compris que la serveuse s'était fait frapper.
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Les Insoumis
Bilim KurguCille a toujours été ce qu'on exigeait d'elle. C'est à dire une Utile (une personne entièrement soumise à la société). Mais à côté de cela, il y a les Inutiles. Les Inutiles qu'on méprise, qu'on discrimine et qu'on emprisonne. Et puis il y a le be...