Je me précipitai aussitôt vers mon amoureux. Mais, au lieu des câlins et des carresses que je m'attendais à recevoir, Matiass me repoussa. Je restai un moment ébahie, ne sachant que faire. Que lui arrivait-il ?
Puis je réalisai qu'il avait dû s'inquiéter en voyant que j'étais partie à Asghet sans lui, d'où la distance qu'il instaurait entre nous deux.Matiass vit alors le bain de sang dans lequel il venait de mettre les pieds.
- C'est... C'est quoi, ça ? demanda-t-il, horrifié.
- Des Inutiles tués injustement par ces connards d'Autorités, expliquai-je.
Il me jugea longuement avant de prononcer distinctement :
- N'insulte pas les Autorités, Cille.
Il y avait quelque chose qui clochait. Matiass me paraissait changé. Je mis les poings sur les hanches et décidai de dire enfin ce que je pensais :
- Ah oui ? Pourtant il n'y a pas d'autre mot pour les décrire, que je sache. Quoique... Je peux les traiter de salauds, si tu préfères.
Je vis alors que Matiass se contrôlait pour ne pas exploser. Que lui arrivait-il à la fin ?
- Je te défends de parler d'eux de cette façon, prononça-t-il, s'ils ont tués ces Inutiles, c'est qu'il y a une raison valable.
- Ils les jugeaient "indignes" de vivre Matiass, faut pas chercher plus loin. Donc les insultes que j'emploie à l'égard de ces brutes me semblent justifiées.
Matiass me toisa lentement en le jetant un regard meurtrier. Puis, soudain, il hurla :
- Et le maintien de ton rang Utile, il te semble justifié lui aussi ?!
Il y eu un long moment de silence. Comment Matiass avait-il pu deviner ?Oui, le maintien de mon rang n'était pas justifiable. Oui, j'aurais dû en parler à Matiass. Et non, ne pas le réveiller et partir sans lui pour Asghet était une très mauvaise idée.
Mais le plus bizarre dans tout ça, c'était qu'à présent, je n'en avais rien à faire de mon rang. Pendant toute ma vie, je m'étais battue pour rester Utile. L'idée de devenir Inutile m'était insoutenable. Même les Inutiles eux mêmes, je les méprisais. Oui, j'avais été complètement endoctrinée. Et il ne m'avait fallu que quelques jours pour le réaliser.
Il fallait absolument que je parle de ça à Matiass. Que je lui dise que, tous, nous étions manipulés. Qu'il fallait se battre et faire changer les choses.
Mais avant ça, l'éclairer sur mon changement de rang.
- Je peux tout t'expliquer... murmurai-je.
-Y'a rien à expliquer, me coupa Matiass, les larmes aux yeux. Rien à expliquer... Tu m'as trahi, Cille.
Alors que m'apprêtai à répliquer, je vis avec stupeur que des hommes armés s'approchaient de nous. Ils portaient une sorte d'armure grise, avec une visière. Ils étaient... Terrifiants. Je ne les avais jamais vu, mais je compris qui ils étaient.
- Matiass, les Autorités ! Cours ! hurlai-je alors.Mais ce dernier n'en fit rien, se contentant de rester immobile, bras croisés. Je me précipitai vers lui et lui tirai les bras. « Mais qu'est-ce-que tu as... Cours, bon sang... », lançai-je, les larmes aux yeux à cause de l'effort.
- Cille... Je suis désolé, me répondit-il.
J'eus un très mauvais pressentiment. Matiass s'excusait, et ne partait pas. Pourquoi ? Était-il blessé ? Un coup d'œil rapide sur son corps me confirma que non, il n'avait aucune marque de blessure allant jusqu'à l'empêcher de courir. Alors dans ce cas, désirait-il nous ralentir ? Mais alors pour quelle raison ? Voulait-il... abandonner et se livrer aux Autorités ? Non, cela ne collait pas... Après tout ce que nous avions fait tous les deux. Pourquoi tout laisser tomber maintenant ? S'il ne courait pas, c'était qu'il devait y avoir une bonne raison derrière tout ça... Du moins, je l'espèrais.
Un homme s'approcha alors de Matiass et lui dit : « Bravo, mon garçon. Nous avions donc raison de te faire confiance. Comme promis, en échange de ton témoignage envers Dwight, nous te rendons ton rang d'Utile ».
Ces phrases mirent longtemps à pénétrer dans mon cerveau, mais plus encore, dans mon cœur. Et quand ce fut fait, je ressentis un immense sentiment d'abandon, encore pire que celui qui m'avait assailli lorsque ma mère m'avait renié.
Avais-je bien entendu ? Matiass avait dit aux Autorités où j'étais ? Non, c'était beaucoup trop horrible. Il n'avait pas pu faire ça, il n'avait pas été capable de trahir notre amour. Soudain, un homme m'empoigna par la taille. Trop choquée par ce que je venais de comprendre, je ne réagis pas.Mais lorsque l'homme me tira vers ce qui me sembla être une camionnette blanche, je me mis à crier, à hurler de la voix du désespoir : « Non, Matiass ! Ne me dis pas que tu m'as trahi, tu as dit aux Autorités que j'étais à Asghet ! ».
Matiass me jeta un regard fatigué, comme si mon sort lui importait peu.
- Et pourtant si, c'est ce que j'ai fait, soupira Matiass. Mais n'oublie jamais, Cille : c'est toi qui m'a trahi la première en restant Utile sans ne m'avoir rien dit.Ces paroles me broyèrent le cœur. Alors notre amour finissait ainsi ? Sur une trahison ? Pourquoi toutes ces personnes chères se détournaient de moi, simplement pour une question de rang ? À croire qu'ils m'aimaient pour la fonction que j'avais dans la Société, et non pour ma valeur à moi... Des larmes de rage perlèrent au coin de mes yeux verts. Je ne pouvais pas me permettre de ne pas riposter. Une immense colère m'envahit. Matiass ne devait pas s' en sortir si facilement, je voulais qu'il culpabilise sur ce qu'il avait osé me faire après tout ce que nous avions vécu tous les deux. Je hurlai de toutes mes forces : « Mais tu m'envoies à la mort ! T'en as conscience, de ça ? Tu... ».
Je n'eus pas le loisir de crier d'avantage, car l'homme qui me tenait m'appliqua une sorte de chaîne dans la bouche, m'empêchant de parler. J' eus un haut le cœur à cause de son goût écœurant.
Avant qu'on me fasse pénétrer dans la camionnette, j'entendis juste la réponse de Matiass :
- Mais au moins, grâce à ça, je redeviens un Utile... De façon légale, moi.Puis la porte se ferma, me plongeant dans l'obscurité complète.
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Les Insoumis
Science-FictionCille a toujours été ce qu'on exigeait d'elle. C'est à dire une Utile (une personne entièrement soumise à la société). Mais à côté de cela, il y a les Inutiles. Les Inutiles qu'on méprise, qu'on discrimine et qu'on emprisonne. Et puis il y a le be...