Chapitre 2 : Premières impressions

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Le foyer était un grand bâtiment noir. Oppressant. Je me demandai comment j'allais faire pour vivre plusieurs années ici. De le voir tous les matins et tous les soirs. Peut-être allait-ce devenir une habitude. Peut-être que ce décor allait-il faire parti de moi-même d'ici quelques mois.

Un petit jardin entourait le foyer. Je repérai quelques jeunes qui étaient à l'intérieur. Ils avaient l'air... heureux. Oui, c'était cela. Heureux et épanouis. S'ils étaient ainsi, cela voulait dire que la vie au foyer était possible. Ca voulait dire que je dramatisais pas mal les choses, et que je n'avais rien à craindre. D'un coup, j'en voulais beaucoup moins à ma mère. Matiass me rejoignit. Nous gardâmes le silence un moment, observant le foyer. Du moins, c'était mon cas. Lui, je n'avais aucune idée de ce qu'il pensait. Peut-être ressassait-il tous les évènements de la journée, de l'instant où il m'avait sauvé de ma chute alors que le train allait m'écraser jusqu'à la révolte des Inutiles. Je ne savais pas. Je ne saurai jamais, inutile de penser à cela. Les Utiles étaient efficaces. Ils ne s'attardaient pas sur des pensées absurdes comme j'avais tendance à le faire, ces derniers temps. Peut-être apprendrai-je à mieux penser, au foyer. Ce serait super !

Je pris une inspiration et me dirigeai vers l'entrée du foyer. Matiass emboîta aussitôt mes pas. Une femme nous attendait. Ses yeux noirs nous détaillèrent de la tête aux pieds. J'espérai qu'elle juge la chemise rose que je portais appropriée. Ainsi que le T-shirt noir de Matiass. Elle avait l'âge mûr, et portait une veste grise avec une jupe noire. Son visage était strict. Elle était grande et maigre. Elle prit enfin la paroles, parlant d'une voix cassante :

- Cille Dwight et Matiass Ansonn, je présume ?

- Oui, madame.

C'était moi qui avait parlé. Je fus contente de ma politesse naturelle. La femme esquissa un demi-sourire. Ce que j'avais répondu lui plaisais.

- Bien. Bienvenue dans notre foyer pour Utiles. On m'a contacté pour me prévenir de l'attaque que vous avez subi dans le train. J'en suis désolée, et je vous garantis que cela ne se produira plus. Les autres sont en cours, vous irez les rejoindre.

Sur ce, elle partit. Et alors ? C'était tout ? Je jetai un regard interloqué à Matiass. Ce dernier eut la même expression que moi.

- Je suppose que nous devons chercher la salle de cours, me dit-il en m'attrapant par le bras.

J'opinai de la tête. Cela fonctionnait donc en classe. Etions-nous triés par tranche d'âge ou par rang ?

Nous entrâmes donc à l'intérieur du foyer. Nous nous retrouvâmes dans une grande pièce circulaire, où il y avait peu de fenêtres. Cet endroit était très sombre. Privé de lumière, comme privé de liberté. Des tableaux jonchaient les murs, représentant des peintures assez abstraites -je n'avais jamais été sensible à l'art. Le bois craquait sous nos chaussures. Cela semblait si vieux. On aurait dit que le foyer était coupé du monde moderne dans lequel nous vivions.

Nous traversâmes la pièce et nous engageâmes dans un couloir. Celui-ci était déjà plus moderne. Je crois que le matériau qui le composait était du métal. Des formes rondes formaient des entrées, pour accéder à d'autres couloirs. Je préférai ne pas m'y engager, de peur de me perdre. Près des murs, il y avait des dizaines de robots éteints. Eteints, ou hors de fonctionnement. A quoi avaient-ils bien pu servir ?

Matiass marchait vite, et je peinais un peu à le suivre. J'aurai préféré y aller plus lentement, pour mieux prendre le temps de tout observer.

Soudain, j'entendis un claquement régulier dans le couloir. Je tendis l'oreille. Des pas ! Je lançai un regard interrogateur à Matiass. Il ne semblait pas les avoir entendu. Il ne s'arrêta donc pas, poursuivant sa marche comme si de rien n'était.

- Attends ! lançai-je alors.

Il pivota sur ses talons et me regarda en fronçant les sourcils.

- Quoi ? demanda-t-il.

- Ces pas... Tu n'as rien entendu ?

Il se gratta la tête, surpris.

- Non, admit-il.

Nous gardâmes le silence. Les pas avaient disparus. Avais-je rêvé ? C'était ce que le regard de Matiass semblait me faire comprendre.

- Allez, dépêche, Cille, on y va. Ca doit être ton imagination.

- Mais...

Impuissante, je lui emboitai le pas. Pile à ce moment là, deux ombres apparurent. Ca avait été leurs pas ! Je n'avais donc pas rêvé ! « Là ! », criai-je, avant de me précipiter à la poursuite des deux ombres. J'agrippai l'épaule de l'une -je grimaçai en voyant qu'elle était humide, qui émit une plainte sourde. Pourtant, je ne lui avais pas fait mal. L'autre, voyant que j'avais arrêté son acolyte s'arrêta aussitôt, gémissant. Je lâchai aussitôt la première. Matiass, ahuri, s'avança. Un rayon de soleil passa à travers la vitre, et nous pûmes voir les deux ombres. Surprise, je vis qu'il s'agissait de deux adolescents, une fille et un garçon. Leurs yeux bruns s'agrandirent en nous voyant. Ceux du garçon se mouillèrent même de larmes. Stupéfaite, je levai les mains, pour montrer que je n'étais pas dangereuse. Matiass fit de même. La fille se recroquevilla contre le garçon. Elle rabattit son sweet sur sa tête, baissant le visage. Je réalisai alors que je les avais terrifiés. Il fallait que je trouve les mots pour apaiser leur peur.

- Je suis vraiment désolée... commençai-je.

- On ne vous veut pas de mal, poursuivit Matiass, en me foudroyant du regard. Mais nous voudrions savoir où se trouve notre salle de classe.

Je saisis le message. D'accord, je n'aurai jamais dû agripper l'épaule du garçon -il y avait la marque de ma main sur son T-shirt humide.

La fille et le garçon ne répondaient toujours pas. Si la fille s'était tue, le garçon continuait de gémir doucement. Ils avaient beaucoup de points en communs : leur corps maigre, leurs traits très fins, leurs cheveux bruns indisciplinés. Et cette terreur qui se lisait sur leurs deux visages. Que leur-étaient-ils arrivés ? Pourquoi ne parlaient-ils pas ?

- Vous nous comprenez ? Demanda Matiass.

La fille opina légèrement de la tête, avant de se cacher le visage avec ses cheveux. Le garçon hoqueta.

- Ils saisissent ce qu'on leur dit, soufflai-je à Matiass, mais ils ne veulent pas parler. Je crois qu'ils ont peur de nous.

- Non, sans blague ? ironisa-t-il.

- Il faut essayer de les rassurer, insistai-je.

- Laisse-tomber. Je crois qu'on obtiendra rien d'eux.

Soudain, la fille prit la main du garçon. Ils se lancèrent un regard entendu avant de filer entre nos jambes, à toutes vitesses. « Hé, attendez !! », m'exclamai-je. Cela ne servit à rien, ils étaient déjà loin.

Qui étaient-ils ? On aurait dit des jumeaux. Avant que je ne puisse prendre le temps de réfléchir, des voix graves, aigües, perchées commencèrent à s'élever. Cela formait un joyeux brouhaha. Matiass me prit la main en haussant les épaules, comme si cette rencontre avec ce garçon et cette fille n'avait pas d'importance. Pourtant, si, ça en avait. J'en étais persuadée. Certaine que cette rencontre allait avoir un impact sur mon destin. Elle ne pouvait pas être liée à du hasard, j'en étais à présent sûre. Je ne saurai dire d'où venait cette certitude. Mais elle était bien là, encrée en moi.

À suivre...

Les InsoumisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant