Otis (Troisième partie)

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A la nuit tombée je mis une robe mauve et marron et détachais mes cheveux. Je pris mon manteau de voyage, il me couvrait le visage et on ne pouvait pas me reconnaître. J'appelais Kinhan à travers sa tente. Il finit par ouvrir. Il avait revêtu son manteau lui aussi, ainsi nous sortirions sans éveiller les soupçons. J'avais décidé de mettre Kinhan et Lubin dans la confidence, d'abord parce que je ne pouvais rien cacher à Lubin et qu'il l'aurait su, puis je ne connaissais pas vraiment cet homme et je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance. Mais aussi je m'étais dit qu'il pourrait peut-être aider Kinhan pour la sorcellerie.

On traversa le camp sans bruit. Un demi-croissant de lune éclairait la nuit, haut dans le ciel étoilé. Quelques nuages parsemaient le ciel mais ils n'annonçaient pas de pluie. De temps en temps, près d'une tente, nous entendions un ronflement, le frottement des couvertures ou le grincement d'un lit sous le poids d'un soldat. On passa par la brèche dans le grillage aidant Lubin qui était nettement plus gros que nous.

On marcha jusqu'au grand arbre sans âge, toujours là, comme il devait l'être depuis des générations et des générations. Arrivés au pied on était seuls, Otis n'était pas encore là. Kinhan s'adossa au tronc.

Tu es sûre que tu n'as pas rêvé ? me demanda-t-il.

J'en suis sûre Kinhan il était là, juste devant moi je ne voyais que ses yeux, ils étaient verts. Il me parlait et puis il a disparu comme ça dans un nuage de brume, lui expliquais-je en claquant des doigts.

J'avais à peine fini ma phrase que quelqu'un tomba de l'arbre atterrissant entre Kinhan et moi. Je ne voyais que ses yeux, cachés par son manteau, tout aussi miteux que la dernière fois.

Je n'ai pas disparu pouf comme ça, d'un coup princesse. Ce n'est pas si simple que ça.

Il se tourna vers Kinhan.

Je vois que vous n'êtes pas venue seule. Bonsoir jeune sorcier, je suis Otis, enchanteur.

Bonsoir, je m'appelle Kinhan, mais comment savez-vous...

Je sais que vous êtes un sorcier car je sais sentir quand il y a de la sorcellerie dans l'air, tout être doté de magie sait quand il y en a un autre près de lui. Ce n'était pas la peine de vous présenter je sais très bien qui vous êtes ou du moins je m'en doutais. Il était facile de deviner car tout le monde sait qui entoure la princesse, comme vous étiez dotés de magie ce ne pouvais être le premier conseiller.

Pourquoi je ne sens rien quand je suis près de vous ou de Méridine ?

Vous sentez mais ne savez pas sentir. Je suis là pour vous apprendre alors passons aux choses sérieuses.

Il se tourna face à la plaine et retira son manteau, avant de nous dévoiler son visage. Je fus subjuguée par ses yeux verts puis ses cheveux bruns. Il devait avoir l'âge de ma mère et mon beau-père environ, et était plutôt beau. Il portait une tunique rouge avec de minuscules feuilles brodées en fils d'or, ainsi qu'un pantalon noir. Autant vous dire que l'on ne s'attendait pas à cela, il faisait presque royal.

Il avait bien caché son jeu. Si ça se trouve, il était riche en Perne, me dit Lubin par télépathie.

Je n'en sais rien Lubin, mais il est intriguant.

J'enlevais alors mon manteau et Kinhan fit de même. On les déposa au pied du grand arbre avant de se positionner face à notre mystérieux instructeur. Un sourire en coin, il nous observait silencieusement. Kinhan avait revêtu une tunique beige, toute simple, une fine ceinture de cuir lui entourait la taille et un pantalon de cuir marron couvrait ses jambes. Otis finit par prendre la parole :

Il n'y a pas de sorcier sans sa baguette jeune homme. Alors où est-elle ? Vous l'avez avec vous c'est certain, la baguette est l'âme du sorcier.

Kinhan sortit alors de sa botte une fine baguette en argent. Elle était droite, épaisse au bout et de plus en plus fine jusqu'à l'autre bout. Au contact de la paume de Kinhan elle s'illumina faiblement, comme si elle avait senti sa chaleur. Elle était lisse, belle, magique.

Elle m'est apparue dans la forêt, après la bataille du trône, expliqua-t-il.

Je souriais à Kinhan. Sa baguette était magnifique et il l'avait cachée pendant tout ce temps. Otis se tourna vers moi puis repris la parole :

Un enchanteur doit avant tout être en harmonie complète avec la nature, car il n'y a point de sortilège mais un enchantement. Un enchanteur doit respirer la nature, la sentir jusqu'au bout des ongles, jusque la pointe de ses cheveux, il doit la comprendre et lui parler. Alors la nature se soumet à l'enchanteur.

J'acquiesçais. Lubin s'était couché au pied de l'arbre et observait.

Vous l'avez fait inconsciemment princesse lors de la bataille du trône, un sentiment puissant vous a poussée à appeler la nature afin qu'elle vous aide. Je veux que vous arriviez à entrer en communion avec ce qui vous entoure. Ce travail vous devez le faire seule, personne ne peut vous aider.

J'avais compris, mais j'avais peur de ne pas y arriver seule justement. Il fallait que je sois seule, j'avais donc décidé de monter dans l'arbre, au milieu de la nature. Je choisis une branche solide et m'adossais au tronc, en tailleur. Une brise légère me caressait le visage, une question s'immisça dans mon esprit : si je n'y arrive pas, si je n'y arrive jamais, que se passera-t-il ? J'essayais de chasser cette idée. Il fallait que j'y arrive, c'était peut-être notre dernière chance.

Je pris une grande inspiration, imprégnant mes poumons de l'air frais de la nuit. Puis, je fermais les yeux doucement, tout en faisant le vide dans mon esprit. Je ne pensais à rien quand soudain j'entendis Kinhan :

Figius !

J'ouvris les yeux avant de me pencher pour voir le garçon, la baguette pointée vers l'avant, lancer son sort. A peine avait-il fini de parler qu'un filet blanc de magie s'échappa de sa baguette pour figer un lapin qui passait par là. Otis félicita Kinhan qui par un autre sort laissa le lapin reprendre le cours de sa petite vie.

 Reconcentre-toi Méridine, me murmurais-je tout bas.

Je recommençais depuis le début, je pris une profonde inspiration avant de fermer les yeux. Je ne pensais plus, ne réfléchissais plus, mon cœur ralentit. Ensuite j'entendis. J'entendis le doux son de la brise du soir, le craquement du bois de l'arbre et le frottement de ses feuilles avec l'air. J'entendis l'œuf du nid se craqueler, le lapin gambader dans l'herbe pleine de rosée et le feu crépiter. Je sentis l'odeur de la terre, le goût de la rosée et la douceur de l'air. Je vis la fleur pousser, l'eau ruisseler, la neige tomber et les saisons passer.

Mon corps était là mais mon esprit s'était envolé. La nature était en moi, elle me parlait me racontait toutes ces années qu'elle avait vu défiler depuis le début de notre monde. Je ressentis un énorme savoir, une grande sagesse, un puit de pureté remplir mon corps tout entier, du bout de mes ongles jusque la pointe de mes cheveux. La nature m'avait acceptée, nous ne faisions plus qu'un.

Lorsque je sortis de ma torpeur, je savais, je sentais : quelque chose avait changé. Je descendis de mon arbre. A l'approche de Kinhan je ressentis une force énorme au fond de mon ventre, je ressentais la magie qu'il portait en lui. La magie d'Otis était puissante mais plus douce et elle sentait la terre, la magie d'un enchanteur.

Vous avez réussi, s'exclama Otis d'un air émerveillé. Vous la sentez ?

Elle est là, j'indiquais mon ventre, mon cœur, puis ma tête. Elle est partout.

Kinhan ne devait faire plus qu'un avec sa baguette. Otis lui avait expliqué que lorsqu'ils seraient totalement associés les sorts seraient faciles à retenir et il les connaîtrait, pour la plupart, inconsciemment.

On reprit le chemin du camp, sans oublier de promettre à Otis que nous reviendrions le lendemain soir.

Le Royaume d'Ialane (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant