Se battre

7 3 1
                                    

Le soir, je me rendis à nouveau seule sous le grand arbre. Je ne pouvais pas emmener Kinhan qui ne pouvait se déplacer qu'en fauteuil, et j'avais demandé à Lubin de veiller sur lui. Lorsque j'arrivais Otis était déjà là. Il avait posé son manteau, toujours aussi miteux, et arborait encore un costume richement décoré. Je m'aperçus alors que je ne connaissais rien de mon « professeur ». Il m'accueillit avec des épines enflammées mais je contrais cette attaque en faisant apparaître un énorme rocher juste devant moi. Les épines s'écrasèrent contre la pierre et celle-ci disparue en flocons de neige.

- Bravo ! Je vois que vous commencez à comprendre ! me félicita-t-il.

- Je ne sais pas encore tout contrôler, avouais-je.

Il est vrai que ce rocher de pierre était gigantesque, mais c'est un bon début.

Il me fit travailler toute la nuit. Je créais des barrières de feu immenses, je demandais une pluie battante, mais de la grêle apparue à la place, j'invoquais un tremblement de terre si fort, que le grand arbre en trembla. Je ne contrôlais pas ce pouvoir qui coulait dans mes veines. Il était surpuissant et je commençais à me demander si je pourrais y arriver un jour. Tous ces exercices m'épuisèrent mais je voulais y arriver et je ne m'arrêtais que lorsque le soleil commença à briller. Alors je m'assis au pied de l'arbre, Otis s'installa près de moi sans un mot. Je contemplais cette boule de feu rougeoyante, qui à elle seule embrasait le ciel et illuminait la plaine. Je ne pus m'empêcher de penser que bientôt ce serait moi qui embraserais cette plaine.

Quand je rentrais au camp des soldats étaient déjà levés. J'attendis que personne ne fasse attention à moi et me glissais sous le grillage. J'ouvris discrètement ma tente et m'écroulait sur ma couchette.

C'est la pluie qui me réveilla. Je revêtis mon long manteau avant de sortir. La pluie était forte et de grosses gouttes tombaient du ciel qui était noir de nuages. Mes chaussures collaient à la boue qui émettait un bruit de succion à chacun de mes pas. Je me rendis au centre du camp pour le repas. Tous les soldats me saluèrent au passage. J'allais m'asseoir près de mon oncle. Aussitôt, une jeune femme aux yeux d'un bleu éclatant me tendit un bol de bouillie fumant. La bouillie était verdâtre et peu appétissante, mais nous n'avions que ça et même si elle ne ravissait pas mes papilles elle avait au moins le mérite de me réchauffer.

- Bien dormi votre altesse ? me demanda le général Caïn.

- Oui, merci général.

- Par Zynaï, espérons qu'il n'y aura pas de combat aujourd'hui, soupira mon oncle.

Je ne répondis pas, préoccupée par le bruit dégoutant, que faisait le soldat assis en face de moi. Il ne mangeait pas mais aspirait bruyamment la nourriture qui se trouvait dans sa cuillère. Je me sentis soudain nostalgique du château. Ce soldat me rappela ma mère qui me réprimandait sur ma façon de manger alors que j'étais encore petite comme trois pommes :

- Méridine tu n'es pas une fille des rues, mâche correctement et ferme ta bouche. Par Zynaï, tu n'es pas prête d'assister à une réception, me sermonnait-elle.

Aussitôt je fermais ma petite bouche de peur qu'elle ne recule encore une fois la date de mon entrée officielle à la cour.

Je me mis à sourire sans m'en apercevoir. Puis une pensée effaça ce sourire de mon visage : cela faisait longtemps que ma mère n'avait pas établi de contact avec moi. Mon regard s'assombrit alors. Et si elle était morte ?

- Elle n'est pas morte.

- Comment le sais-tu ?

- Cet homme est impitoyable, intelligent et fourbe, il se serait fait un malin plaisir de vous annoncer, en personne, la mort de la reine rien que pour vous voir vous écrouler à ses pieds.

Encore une fois Lubin avait raison. La sagesse des loups et leur capacité d'analyse m'aura toujours impressionnée.

Je croquais dans un morceau de pain quand une main se posa sur mon épaule, me tirant de mes pensées. D'un coup je tournais la tête pour savoir à qui appartenait cette main. Il était là, debout, me souriant de toutes ses dents. Vous savez, ce genre de sourire qui vous font plaisir, ceux qui vous réchauffent le cœur. A mon tour je lui offris mon plus beau sourire, enfin je crois, en tout cas c'était un sourire sincère. Tout en souriant le jeune homme jetai un regard rapide sur les personnes qui nous entouraient. Ensuite, il se pencha discrètement vers mon oreille :

- Après déjeuné, défi, arbre, me souffla-t-il avant de s'éloigner pour se servir de la bouillie, comme si de rien n'étais.

J'avais compris. Kinhan me donnait rendez-vous sous l'arbre, après le petit déjeuner, et visiblement il avait en tête de me défier. Je me doutais que ce ne pouvait être qu'un combat magique, sinon il m'aurait donné rendez-vous dans la zone d'entraînement. Je jetais un regard en coin à mon oncle, toujours occupé à discuter avec le général, qui se trouvait à sa gauche. Ils étaient si absorbés par leur conversation qu'ils n'avaient même pas remarqué la présence du jeune comte. Tant mieux, nous aurions la paix et avec le temps qu'il faisait il était peu probable que l'ennemi tente une attaque. Je me souvins que mon beau-père m'avait un jour confié que lors d'une bataille, si la nature est contre nous, elle l'est aussi contre l'ennemi. Le Destructeur venait de perdre un combat. Cet homme était orgueilleux et si jamais il attaquait avec ce temps et qu'il perdait à nouveau, son égo en prendrait un sacré coup.

A l'opposé de moi, si éloigné que je dû lever la tête pour pouvoir l'apercevoir, Kinhan mangeait tranquillement sa bouillie verte. Je m'efforçais de faire de même en prenant mon temps et faisant mine de ne pas m'intéresser aux autres. Je dois avouer que j'étais plutôt douée pour feindre l'indifférence et me coller une mine d'innocente sur le visage. Personne ne prêta attention à moi sauf pour me proposer à nouveau de cette bouillie verdâtre ou pour me demander si j'avais passé une bonne nuit. Ce à quoi je répondis brièvement afin que l'on comprenne que je ne voulais pas être dérangée.

Le Royaume d'Ialane (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant