Morbide spectacle

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Je fus réveillée par Samira qui entra dans ma tente et me secoua sans ménagement. J'ouvris les yeux et vis son doux visage mat et ses yeux foncés penchés au-dessus de ma tête. Elle sentait bon l'huile de jasmin, qu'elle mettait dans ses cheveux tous les matins. Elle me souriait.

- Que se passe-t-il ? lui demandais-je, la voix encore endormie.

- Je vais tirer à l'arc, je me suis dit que vous pourriez venir avec moi, me répondit-elle joyeusement, tout en prenant garde de chuchoter.

J'acquiesçais, c'était une bonne idée. Je passais un peu d'eau sur mon visage avant d'enfiler la robe mauve, que j'avais juste mise la veille au soir. Ensuite je ramenais mes cheveux en une queue de cheval et Samira me donna un arc et un carquois remplis de flèches. Sans un bruit on sortit de ma tente pour traverser le camp encore endormi. Le soleil commençait tout juste à éclairer l'horizon. Samira me fit passer par la même brèche, dans le grillage, que celle par laquelle Kinhan et moi étions passés pour rejoindre Otis. Nos pas résonnaient dans la ville encore calme. On traversa quelques rues pavées entres des maisons aux volets fermés. Samira m'emmena jusqu'à l'Est de la ville où un petit chemin, bordé d'arbres en tous genres, était dissimulé. Au vu du nombre de broussailles et de feuilles, que nous devions écarter sur notre passage, ce chemin n'avait pas dû être utilisé depuis le début de la guerre.

Au bout de quelques mètres les arbres disparurent pour laisser place à un champ, qui semblait avoir été abandonné par ses propriétaires. Le vent y était plus fort, je fermais les yeux et sentis la nature qui parlait et caressait ma peau.

On se plaça au milieu du champ, où l'herbe était haute et nous arrivait presque à la taille, face aux quelques arbres du chemin que nous avions emprunté. Samira ajusta son arc. Celui-ci était fabriqué dans un bois foncé et avait été sculpté, aux deux extrémités, de petites feuilles, toutes fines, qui semblaient s'envolées. Elle tira une flèche de son carquois, qu'elle portait au travers de son dos. Pendant quelques instants elle vérifia sa ligne de tir puis lâcha la corde faisant partir la flèche, qui finit sa course sur le tronc d'un arbre.

- A vous maintenant, m'incita-t-elle.

Je pris l'arc, tout simple, qu'elle m'avait prêté, avant de tirer une flèche de mon carquois. Le vent soufflait toujours et il était difficile de viser. Je me concentrais avant de lâcher la corde. La flèche s'envola mais le vent la déporta et elle ne fit pas du tout la trajectoire que j'avais imaginée. Samira se mit à rire face à mon air dépité et je souris à mon tour.

- Il ne faut pas que le vent devienne votre ennemi mais il faut que vous vous en serviez pour pousser votre flèche. Il faut que vous sentiez le vent, d'où vient-il ? Qu'elle force a-t-il ? Et alors vous saurez comment l'utiliser.

Je ne me décourageais pas et décidais de recommencer. J'ajustais mon arc tirant au maximum sur ma flèche qui effleurait ma joue. Samira baissa quelque peu mon bras, releva mon menton de quelques millimètres, puis posa ses mains sur mon ventre :

- Le plus important se passe ici, m'expliqua-t-elle.

Je laissais le vent me parler : d'où vient-il ? Quelle force a-t-il ? Ensuite je décollais mes doigts de la corde pour laisser partir la flèche. Elle vola haut dans le ciel puis se ficha au centre du tronc de l'arbre que j'avais choisi de viser. Alors je sautillais dans l'herbe haute ne pouvant contenir ma joie plus longtemps. Evidemment je trébuchais sur une motte de terre qui me fit tomber à la renverse. Samira s'arrêta de rire et je l'entendis m'appeler, inquiète, pendant que je riais aux éclats, toujours cachée par les hautes herbes. Son visage inquiet se pencha au-dessus de ma tête qui devait être rouge et mouillé de larme dues à mon fou rire incontrôlable.

- Princesse, vous m'avez fait peur, pendant un moment j'ai bien cru que vous vous étiez blessée ! me réprimanda-t-elle, même si je voyais bien que le cœur n'y était pas et qu'elle avait du mal à cacher le sourire qui se manifestait au coin de sa bouche.

- Je vais recommencer, mon beau-père disait toujours que j'avais la chance du débutant quand je gagnais aux échecs. Ah...et cessez de m'appeler princesse.

Elle me regarda, étonnée.

- Ne prenez pas cet air surpris, je vous en supplie ! Certes, je suis princesse, mais je suis avant tout Méridine Praïde et je ne vois pas pourquoi je devrais vous appeler par votre prénom et vous devriez m'appeler par mon titre, ajoutais-je avec un air renfrogné.

- C'est totalement différent, je vous dois le respect et je vous respecte d'ailleurs. Il m'est totalement interdit de vous appeler autrement et je ne m'y oserais pas, me répondit-elle, toujours aussi surprise par la tournure que prenait notre petite excursion.

- Si je n'étais pas princesse vous m'appelleriez Méridine. Par ailleurs au jour d'aujourd'hui la plus haute autorité en Ialane : c'est moi. Ce qui veut dire que si je vous autorise à m'appeler par mon prénom, et non par mon titre, personne ne pourra contester. Puis, je dois vous avouez que je vous considère réellement comme une amie, la seule que j'ai.

- Mais vous avez Kinhan, vous êtes très proches, me rappela-t-elle.

- Oui mais c'est totalement différent, vous êtes une fille et de très bon conseil. Je n'ai plus de mère à qui me confier et poser les questions, vous êtes un peu plus âgée que moi et j'ai confiance en vous...

Je laissais ma phrase en suspens, pendant que Samira me fixait de ses grands yeux noirs. Mais elle semblait perdue dans ses pensées. Elle avait l'air troublé par ce que je venais de lui dire, visiblement elle était plus attachée à l'étiquette que ce je pensais. Mais je tenais réellement à ce qu'elle m'appelle par mon prénom.

- Amie ? lui demandais-je en tendant ma main gauche.

- Amie, me répondit-elle, non sans avoir hésité avant de taper dans la main que je lui tendais.

Je savais que ce n'était pas très conventionnel, ni très élégant, compte tenu de mon rang. Mais je dois avouer que cet écart dans ma conduite irréprochable me rendit plus légère. Après tout, je n'étais pas qu'une princesse !

Le Royaume d'Ialane (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant