Chapitre 4: Prête

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- Vous m'avez trahie !

Je venais de débouler dans le salon en colère comme jamais. La comtesse ne savait que faire face à cette phrase que je répétais maintenant pour la troisième fois.

- Mais en quoi t'ai-je trahie Méridine ?

- Vous m'avez menti, pendant 3 mois vous m'avez dit que tout allait bien.

Je repris mon souffle avant de continuer en pleurant, ne pouvant contenir mes larmes plus longtemps.

- Mais c'est faux ! Je suis recherchée. Le peuple attend chaque jour un signe, quelque chose prouvant que je suis encore en vie ! Vous m'avez laissée dans l'ignorance.

Sur ces mots, j'allais me réfugier dans ma chambre, laissant la comtesse décontenancée et blanche. Je m'écroulais sur mon lit, le cœur lourd et les yeux rougis par mes pleurs. J'avais verrouillé la porte et ne l'ouvrit pas même pour Louisa, qui m'apportait le dîner. Je finis par m'endormir, fatiguée de passer par toutes les émotions.

      *

Ma mère, amaigrie, blanche et vêtue de guenilles, était derrière des barreaux de fer. Elle me parlait. Je pouvais presque l'entendre, mais je ne comprenais pas son appel. Il était loin, trop loin. Je ne vis que son regard désespéré, qui avait perdu de son éclat.

D'un coup, je me réveillais, encore imprégnée de mon rêve. Une odeur d'humidité et de moisissure flottait dans la chambre. Je desserrais mes poings puis sorti de mon lit pour ouvrir la fenêtre. L'air frais me piqua la peau mais il m'apaisa. J'étouffais dans cette chambre qui n'était pas la mienne. Je m'endormis, là, sur le rebord de la fenêtre.  

*   

- Te sens-tu prête ?

- Oui.

- En es-tu sûre ?

- Oui.

- Tu sais que c'est très dangereux pour une jeune fille et que cela sera difficile.

- Madame...je suis prête.

A ce moment-là, je ne mesurais pas la portée de cette dernière phrase. Elle allait tout bouleverser.

Plusieurs jours étaient passés depuis ma dispute avec la comtesse. On avait préparé mon voyage du mieux possible. Je retournais à Olysie, dans mon palais, chez moi. Mais je n'y allais pas seule.

Habib avait été émerveillé de savoir qu'il avait sauvé la princesse d'une mort certaine, mais aussi qu'elle l'avait choisi pour premier conseillé et donc qu'il me suivrait à Olysie. C'était une façon de le remercier. Il s'était agenouillé, les larmes aux yeux. Gênée, je lui avais pris les mains pour le relever et le remercier. Depuis il ne cessait de me donner des « mademoiselle », « princesse » ou « votre altesse » à tout bout de champ.

J'étais prête. Prête à affronter la réalité, à me battre pour mon pays, venger mon beau-père et pour ma mère qui m'était apparue l'autre nuit. Mes veines étaient emplies de la rage contenue, je ne pensais qu'à me battre, me transformant en véritable arme de guerre.

*

Nous étions partis tôt le matin, tous vêtus d'un manteau noir à capuche qui masquait nos visages. Pour rejoindre le château, nous avions trois jours de voyage. La comtesse avait décidé d'un chemin plus long, mais plus sûr que la route principale, grâce à laquelle on pouvait arriver en une seule journée à Olysie. Toutes les éventuelles embûches que l'on pouvait rencontrer avaient été prises en compte pour tracer notre itinéraire. Les voleurs, brigands ou autres chevaliers n'étaient pas une menace car ils étaient plus présents sur la grande route, que dans ce chemin tortueux, très peu fréquenté. Le Destructeur n'en était pas une non plus car, trop lâche pour se déplacer, il envoyait ses larbins faire le sale boulot à sa place. Cependant ils étaient trop imposants pour l'étroit sentier que l'on suivait. Certes il aurait pu payer un chevalier solitaire afin de nous pister, mais aucun de nous ne voulait y penser.

Malgré ma peur, je restais l'air fier, droite comme un piquet sur ma fidèle Kira. Je ne voulais en aucun cas que mes amis sachent que j'avais peur, cela aurait fait de moi une peureuse, capricieuse et peut-être petite fille gâtée n'ayant jamais voyagé.

Le voyage se passait bien, nous discutions gaiement sans nous soucier du paysage. Je voyais Habib, devant moi, toujours aux aguets, écoutant le moindre bruit. Pendant que, derrière moi, Kinhan me racontait les dernières blagues que les domestiques se disaient en récurant les sols. Je regrettais que Louisa, ma petite femme de chambre, n'ai pas été autorisée à venir avec moi. On avait fini par se prendre d'affection l'une pour l'autre. Elle remplaçait ma mère en quelque sorte. Elle me peignait les cheveux tout comme ma mère l'aurait fait pour sa fille. Je savais que ce genre de relations avec les domestiques, étaient vues d'un mauvais œil par la comtesse ainsi que par ma mère, lorsque j'étais au palais. Mais Louisa était si gentille. Malheureusement la comtesse avait décrété que nous étions bien assez de trois.

Nous avancions en riant sur le chemin, enfin surtout Kinhan et moi. Le chemin était si étroit que nous nous prenions parfois quelques branches dans la figure. Un moment d'inattention et vous étiez sûrs de manger des feuilles, ce qui nous faisait rire de plus belle. Habib tentait tant bien que mal d'écarter les branches sur son passage. Il finit par s'en prendre une en pleine face, ce qui lui arracha un juron, que je n'oserais pas prononcer. Je ne pus m'empêcher de pouffer de rire, accompagné de Kinhan, bien évidemment. Le saribain nous fusilla du regard, visiblement énervé. On se tut, penaud.

Finalement Kinhan adopta une technique plutôt efficace. Il baissa la tête et s'accrocha à l'encolure de sa monture. Je fis de même, j'entourais de mes bras l'encolure de Kira, baissant la tête sur son pelage. On laissa bercer par la cadence des chevaux.

Au moment de trouver un endroit où coucher, l'atmosphère joyeuse qui nous entourait plus tôt, disparue pour laisser place à un voile inquiétant de brume. On n'y voyait plus rien et personne ne soufflait mot, même Kinhan s'était tut. Dans le silence le plus complet les tentes furent montées. Je fus chargée de trouver du bois, afin d'allumer le feu.

Je m'éloignais dans la pénombre, sans un bruit. Rapidement, le nuage brumeux effaça mes compagnons. Je ramassais au plus vite quelques morceaux de bois car je n'étais pas très rassurée. J'allais revenir sur mes pas quand un buisson, tout près de moi, bougea étrangement. Je l'observais, sans bouger, mais ne vis rien. Je repris mon chemin mais à nouveau un bruissement inhabituel me fit sursauter. Je cherchais d'où provenait ce bruit quand soudain quelque chose sauta du buisson, me fonçant doit dessus. Surprise, je lâchais le bois et poussais un cri. Je n'eus pas le temps de m'enfuir qu'Habib apparaissait près de moi, et décochait une flèche. Il ne rata évidemment pas sa proie. Il s'approcha de la chose et la souleva par les oreilles.

- Le dîner est prêt pour la cuisson ! Vous avez du bois ? me demanda-t-il.

Je le regardais, encore secouée par ma mésaventure. Cependant j'étais soulagée, et un peu honteuse aussi : ce n'était qu'un lapin.

- Euh...je déglutis, regardant autour de moi. Oui, balbutiais-je en tentant de ramasser, l'air de rien, les morceaux de bois éparpillés à mes pieds.

Habib alluma un petit feu, puis il fit cuire le lapin, après l'avoir embroché. On le dégusta, affamés. C'était la première fois que je mangeais à l'extérieur d'un château, aussi je fus perturbée de manger à même le sol et avec les doigts. Je ne cessais de tenter de les essuyer. Habib me conseilla de les lécher mais je ne pus m'y résoudre. Il y avait des limites quand même !

La nuit tomba vite, exténuée j'allais me coucher pendant que mes amis discutaient dehors, autour du feu.

*

- Maman !

- Fait attention Méridine, ma fille.

- Mais faire attention à quoi ?

- Je t'aime.

Sa voix s'éteignit dans un soupir. Son visage squelettique disparu presque aussitôt dans la brume. Je me réveillai en sursaut, trempée de sueur. Ce n'était qu'une illusion mais j'étais sûre de l'avoir vu, de lui avoir parlé, elle était là. Je me rendormis rapidement trop fatiguée pour réfléchir.


Le Royaume d'Ialane (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant