Semaine 8

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19 février, une journée calme et normale.

— Blandine, tu peux dire tout ce que tu veux, mais admets au moins que cette bouteille d'Ice Tea est à moitié vide.

— À moitié pleine, Mat'. À moitié pleine.

20 février, et Blandine ne me laisse pas aller plus loin que le roulage de pelle. Je suis frustré, et je passe cette             frustration avec du porno et un kleenex.

21 février. Je pensais que nous aurions passé des jours magiques. Ils étaient juste... banalement ordinaires. Blandine me             regardait comme si j'étais la huitième merveille du monde, mais ne me laissait pas la toucher. J'étais soulagé qu'elle parte à midi, mine de rien.

— Pas trop triste, mon grand ?

Quand Arthur m'appelle « mon grand », c'est qu'il s'attend que je me confie à lui, que je tente d'avoir une  relation père-fils normale avec lui. D'un côté, je ne veux aucun contact avec lui ; après tout il est sensé me surveiller, c'est un gardien de prison comme un autre, sauf que cette prison est plus insidieuse. De l'autre, son fils aîné, Florian, s'est cassé à l'étranger avant mon arrivée, une cousine éloignée, Célia, a pensé que lui refourguer un de ses sujets d'étude lui ferait du bien et sa fille cadette, Amandine, s'est suicidée trois ans plus tard. Je ne trouve pas si étonnant qu'il cherche à retrouver ce lien filial à travers moi.

— Non, pas vraiment. On sort certes ensemble mais je ne ressens aucune connivence entre nous.

— T'es vraiment un gosse bizarre, Mathis, dit-il en m'ébouriffant (je déteste ça et il le sait). À ton âge, je me posais pas ces questions.

— Parce que notre développement psychique est différent :  je pourrais être diagnostiqué comme psychopathe, et toi tu es parfaitement neurotypique. Vire tes sales pattes de ma tête.

— Jeanne t'a appris des sales mots, dis-moi.

Je mets entre nous une certaine distance. Comprendre : lui est sur un côté du canapé, et moi sur l'autre.

22 février, Jeanne a décidé de s'occuper de moi. Cela signifie juste une longue journée de travail scolaire, de             cuisine, et d'une longue discussion.

— Laisse-moi deviner : je voulais quelque chose, je me suis énervé, la puce a pris le relais.

— Mathis, tu es impossible, sourit-elle. Tu devrais apprendre à te contrôler.

— Je n'ai pas à apprendre à me contrôler ; vous m'en avez tant passé que je n'aime pas ne pas être satisfait. L'ordre des choses ne me convient pas.

— Pauvre bichon...

Je n'aime pas quand Jeanne est ironique avec moi.

23 février, c'est l'anniversaire de Célia. Arthur et Jeanne passent la journée sur Skype. Surtout Jeanne, elle adore sa cousine.

J'en profite pour sortir un peu. Il fait froid, il y a dix centimètres de neige dehors et les bus pour rejoindre la             prochaine ville de plus de cinq mille habitants ne passent plus. Ah, j'aime la campagne, j'aime la campagne. Les HLM me manqueraient presque...
Je plaisante, je préfère largement la maison confortable d'Arthur et Jeanne aux 15 m² miteux dans lesquels j'ai vécu jusqu'à sept ans.

J'enfonce mon bonnet. Oui, j'ai un bonnet, et personne ne s'est jamais amusé à me le prendre.

— Hé, Mathis !

Je reconnais cette voix... Qui était-ce, déjà ? Probablement une connaissance de l'école primaire. Je suis incapable de mettre un nom et un visage dessus.

— Bonjour... Toi.

— Ça fait un bail ! J'suis super content de tomber sur toi !

— Écoute. Je ne vois pas du tout qui tu es, donc on va faire comme si on ne se connaissait pas et reprendre notre chemin, d'accord ?

Je ne suis jamais rentré aussi vite chez Jeanne et Arthur.

24 février, rien. J'ai traîné sur Internet. Il neige.

25 février, il neige toujours. Tant pis, quitte à me les geler, je sors. Je suis en manque de nicotine.

Albert vivra 16 ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant