Semaine 52

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24 décembre, Noël approche, Noël est un danger et Noël me rend triste. Surtout cette année, va savoir pourquoi. Et cette année, Noël sera vide, parce que hors de question d'inviter la famille de Jeanne, et les parents d'Arthur ne semblent pas disposés à faire la fête, on se demande pourquoi.

Donc, sur la liste des invités, il y a :

– Florian, sa femme Silke et Clothilde ma nièce

– Marcus et Aïcha

– la seule, la chiante, la merdique :

— Célia, quel malheur de te revoir, la salué-je.

— Moi aussi, gamin, moi aussi. Pas trop dégoûté de mourir ?

— À peine, dis-je entre mes dents.

Elle m'ébouriffe les cheveux.

— C'est dommage, je t'aimais bien, murmure-t-elle. Si on avait pu faire autrement, je te jure qu'on l'aurait fait, je te le jure.

— Garde tes discours larmoyants pour toi, lui rétorqué-je. Je ne veux pas ta pitié.

Les expatriés viendraient demain à l'aube, selon Arthur. Jeanne fait comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais même elle n'y croit pas.

— Aïcha ! s'écrie Jeanne en la voyant arriver.

Marcus serre la main d'Arthur, ébouriffe les cheveux d'Antoine, me salue comme un homme. Ils ont avec eux des sacs de cadeaux, autant pour les enfants que pour les adultes.

— Ça dérange si je vapote dedans ? demande Célia depuis la porte de la cuisine, sa pipe électronique à la main.

— Vas-y, dit Arthur en la rejoingnant. Fais comme chez toi.

Célia sourit dans un nuage blanc à l'odeur sucrée.

— Fais goûter, lancé-je en lui prenant des mains.

— Mathis.

Le ton sentencieux de l'homme sensé être mon... Père tente de me rappeler à l'ordre. C'est étrange, ce sentiment. Vis-à-vis de lui, c'est... J'ai presque envie, pour une fois, une seule fois, de faire l'adolescent docile, qui obéit, qui soupire un peu, qui boude peut-être, mais qui respecte l'autorité.

Qui est-ce que j'essaie de tromper ? Je m'en fiche. Je m'en fiche, bien sûr que je m'en fiche. Je tire un long moment sur la pipe de Célia, en le regardant droit dans les yeux. Je recrache la fumée. N'importe quel père aurait hurlé, aurait giflé, aurait eu une réaction autoritaire, mais Arthur a juste haussé les épaules, avec une sorte de langueur et de mélancolie dans les traits. Il quitte la cuisine, nous laisse seul.

— Cannabis. Je te félicite.

— Je suis légalement responsable de la mort de vingt-sept gosses, tu te doutes bien que ça ne pèse pas sur ma conscience, réplique-t-elle en récupérant son bien.

Entre nous, le silence, le néant. Nous n'avons rien nous dire. J'écoute les rires à côté, des rires forcés, faussés. La playlist de David Bowie qui passe en fond et que personne n'écoute.

— Tu me fais un bilan de...

— Ma vie ? Allons bon.

Je m'installe sur une chaise, enlève mes lunettes.

— J'ai eu des amis, commencé-je.

Elle me regarde. Prend deux verres, les remplit d'eau. Je pose ma voix, je monte d'une octave :

— Je pense avoir aidé des gens, parce que j'ai été aidé en retour. Je suis tombé amoureux, plusieurs fois. D'une fille, d'un garçon. J'ai eu des projets pour l'avenir, avant de me rendre compte que je ne pourrais jamais les réaliser. J'ai vu un film au cinéma avec une fille, deux fois, avec deux filles différentes, dans différents contextes. J'ai vu des problèmes simples qui paraissaient insolubles. J'ai vu des gens heureux...

Albert vivra 16 ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant