17 septembre, Rita n'est pas revenue au lycée, et tout le monde me regarde bizarrement. C'est étrange, c'est étrange cette sensation de faiblesse. Je me sens transpercé de toute part par cette marée d'yeux pointés sur moi.
La voix de Faya retentit dans le micro de la Vie Scolaire : « Bonjour, votre attention, s'il-vous-plaît. L'heure suivante est banalisée pour toutes les classes pour permettre de présenter une organisation interne au lycée. Merci de rejoindre le gymnase dès la sonnerie. »
Le jingle entêtant de fin de message résonne un moment dans ma tête.
« Tu refais une crise d'épilepsie ? » marmonne Maé.
... Pourquoi est-ce si terrifiant dans sa bouche ?
Mais dès que la sonnerie, hé bien, sonne, je m'en vais vers le gymnase tel le brave petit élève que je suis. En Seconde, nous accédions au gymnase du lycée, un tout petit gymnase de rien, dans lequel on rentrait une classe, et c'est bien tout. Cette année, le grand gymnase derrière sortant de ses trois ans de rénovation est disponible. Quelle joie. Ah, cette douce odeur de sarcasme, et de sueur humaine...
Toutes les classes se serrent dans les gradins. J'aperçois Faya, entourée de toute une clique de gens mal assortis. Elle me voit, me sourit, se rapproche.
« Tu t'es remis vite, dis-moi.
— Ce n'était rien, réponds-je.
— C'est faux, rétorque-t-elle. On a tous cru que t'allais nous crever entre les doigts. »
Elle rit, elle garde son sourire.
« Je suis très heureuse que t'ailles bien. On était tous hyper inquiets.
— Et qu'est-ce qu'il se passe ? Dis-je pour changer de sujet.
— Ça ? s'exclame-t-elle en changeant d'air. J'ai réussi à monter, avec tous ces joyeux lurons, le Cédiv. Le Comité des Diversités.
— Et en quoi cela consiste ?
— Hé ben, fait-elle, on représente les minorités du lycée. Les couleurs de peau, les handicaps, les identités, les religions...
— On dirait une connerie SJW, remarqué-je.
— Mathis, si tu reviens pour dire ça, c'était vraiment pas la peine, reprend-t-elle sombre. Mec, t'es au courant que Rita se faisait harcelée. Tu sais que je m'en prends plein la gueule car je suis en fauteuil. Tu sais que des types comme Grégoire ou Abdel galèrent parce qu'ils sont noirs. Tu sais que...
— Ce n'est pas un comité qui va leur changer la vie, tu sais. C'est inutile ; et pire, ça les transforment en victime.
— Tu vas pas m'apprendre non plus la discrimination, Mathis, poursuit-elle sarcastique. C'est vrai, toi, ô mâle blanc cisgenre athée et valide, tu sais mieux que moi ce que c'est la discrimination, moi femme arabe musulmane paraplégique.
— Faya, c'est quand, exactement, le moment où tu as viré féminazi ?
— Ta gueule, Mathis, ferme ta putain de gueule. »
Je m'apprête à répliquer, quand un des « joyeux lurons » de cette brave SJW sur roulettes l'interpelle. Elle s'en va en m'incendiant du regard, je prends place.
« Tu l'as énervée.
— Maé, si c'est pour dire des vérités vérifiables à l'instant, je te prie de la boucler, feulé-je.
— Toi aussi tu es énervé. »
Sans surprise, qui va prendre la parole ? Elle, évidemment. Faya sait parler. Elle parle bien, elle sait convaincre, c'est une excellente oratrice qui utilise la sophistique à la perfection. Elle sait que certaines personnes vont boire ses paroles et adhérer pleinement à ses idées.
Mais pas moi.
18 septembre, le Cédiv a élu domicile dans la salle adjacente au CDI. Impossible de rejoindre ce fabuleux havre de paix sans passer devant leur local, et les yeux sombres de Faya. Ils sont tous affairés, à faire des affiches ou à parler à de nouveaux adeptes. Une secte.
C'est une secte.
« Bonjour, c'est pour parler au Cédiv, murmure une petite voix timide.
— À côté », lance la documentaliste blasée.
Je lève la tête. C'est une fille. Dans ma classe. Une fille de Première 4, à l'arrière de la salle dans tous les cours. Ana. Oui, Ana, une brune hirsute trop grande, maigre, habillée avec des vêtements propres seulement une fois par semaine.
Aucun intérêt.
Pas de nouvelle de Rita.
19 septembre, journée calme. J'ai dû aller chercher Antoine à l'école, avant de rentrer.
« Et ta copine ?
— Qui, Antoine ?
— Bah, celle avec une voix d'homme, dit-il naturellement. La brune. Elle vient pas à la maison, je la vois plus...
— Arrête de jouer à l'enfant normal, Antoine.
— Arrête de jouer au gars trop torturé, Mathis. »
Décidément, rien ne va comme je veux en ce moment. Mieux valait ne pas entamer de conversation.
20 septembre, Léo me fixe. Ainsi qu'Emmy. Et Enzo. Et Anton, ce qui est terrifiant. Et Maé.
« Qu'est-ce qu'il y a. Encore.
— Rien, répond Léo.
— C'est juste que, hésite Enzo.
— T'es taiseux en ce moment », lâche Emmy.
21 septembre, je suis déjà fatigué que de cette semaine. Et le Cédiv organise une collecte. Hé bien, il y a une secte au lycée, et tout le monde s'en fiche.
22 septembre, je suis descendu chez Rita.
Elle n'est pas là.
Inquiétant.
23 septembre, je scrute d'un œil anxieux les avis de décès. Pure paranoïa, pur sens pratique, pure intelligence.
Aucun nom de ma connaissance n'y figure. Je suis assez rassuré, surtout que la mine inquiète d'Arthur ne dit rien qui vaille.
« Qu'est-ce qu'il a, Papa ?
— Sa mère vient d'entrer à Sainte-Marie, explique Jeanne.
— C'est un hôpital psychiatrique, dis-je en posant mon journal. Pour les problèmes de la tête.
— Je sais ce qu'est un hôpital psychiatrique, Mathis, rétorque Antoine. Et pourquoi, Maman ?
— Parce qu'elle a la maladie d'Alzheimer. »
Ah, coup dur pour Arthur. Je cache un sourire amer. Mourir après une longue déliquescence de son esprit, n'est-ce pas triste ? Un coup de couteau est bien plus miséricordieux.
Jeanne fronce les sourcils en me regardant, comme si elle devinait ma pensée.
VOUS LISEZ
Albert vivra 16 ans
Teen Fiction. [TERMINÉE ; 1ER JET] Question : Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Mathis Paillon a 15 ans. Il mourra à la fin de l'année, et le sait pertinemment, à cause d'une puce dans sa moelle épinière. Pour lui, c'est évident qu'il soit à mo...