Semaine 21

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22 mai, quel est le meilleur moyen de commencer la semaine ? Un DST de SVT, évidemment !

Je hais ce professeur, je le hais viscéralement. 

Chaque personne a une tactique différente pour aborder un devoir. Louna, une fois qu'elle a le sujet, gratte sans se rendre compte qu'elle stresse toute la classe. Rita lit les exercices, mâchonne son stylo, relit les exercices, répond aux questions cours et abandonne. Léo parcourt trois fois l'énoncé avant de se lancer et de tout faire d'une traite. Faya fait les exercices les uns après les autres, toujours dans l'ordre donné par le professeur. Emmy pose des questions toutes les dix secondes. Enzo copie sur Gabriel, qui n'a lui-même pas la moitié des réponses. Blandine écrit sur son brouillon, fait tout au brouillon, et recopie pour avoir une feuille magnifiquement propre.

Et moi ?

Ma technique ressemble à celle de Louna, en plus lent.

Vingt minutes passent lentement.

— Louna ?

— J'ai fini, monsieur.

Comment se faire haïr d'une classe entière en une seule leçon.

Un petit groupe s'est formé à la sortie, dans le but de lui faire des choses peu orthodoxe. 

— Louna...

— Des fans ! Allez-y, aimez-moi !

Disons que nous la retrouvons à midi, avec un bleu énorme sur la joue, en tentant de voler du fond de teint à Faya (Blandine ayant un teint trop pâle pour elle).

— Je n'ai aucun putain de regret, braille-t-elle en camouflant sa blessure de guerre.

— Louna, soupire Faya en riant, si tu essaies de te donner un air de dure malgré ta gueule d'intello, ça marchera pas. Vois la vie comme un centre commercial : l'apparence c'est les vitrines, et la personnalité c'est les magasins. Souvent, on est dég' parce que la vitrine est trompeuse.

— Et ce que tu dis n'a aucun sens, dis-je.

— Ouvre tes chakras, bien sûr que ça en a, réplique-t-elle.

23 mai, la Wesh s'est mis en tête de s'incruster parmi nous, car « tous les cas de la classe sont dans c'te groupe, pas d'raison qu'[elle] y soit pas ».

Pour l'instant, elle ne dit rien. Elle prend juste de la place à notre table, déjà que nous étions sur deux séparées... 

Enzo se jette à l'eau :

— Pourquoi t'es là ?

— J'parle pas aux cons.

— Nous n'entendons pas les connes, répliqué-je.

— Vous d'vez pas vous entendre ent'vous, ironise-t-elle.

— Fine observation.

— T'sais quoi, ferme ta gueule le bourge. J'me casse, tu m'vénères trop.

Et elle est partie.

— Tu es un héros, plaisante Gabriel.

— Elle a raison, espèce de bourge capitalo-exploiteur, lance Faya d'un air blagueur. Allons camarades ! 

— Blochévik, dit Léo.

— Maoiste.

— Tss, bande de racistes.

— Rita, tu parles pas ? s'enquit Blandine.

— Elle a une extinction de voix, dis-je.

Rita imprime sur son visage une expression désolée.

24 mai, la voix de Rita va mieux. D'ailleurs, mes oreilles en pâtissent. Ce n'est pas que ce qu'elle dit n'est pas intéressant, c'est juste sa voix qui est éraillée, traînante, monocorde, endormante.

— Sinon, samedi, ça te dit l'escape game de Coubon ? demande-t-elle. Y'aura mon cousin, Louna, Emmy, et Léo. 

— Hmm... Oui, pourquoi pas... 

— 15 heures.

— C'est noté.

— Monsieur Paillon, monsieur Wagner, je vous dérange ?

J'oublie souvent que nous sommes sensés être en cours.

25 mai, comme quoi chacun peut avoir son moment de gloire. Gabriel fait la chorale, ce qui est de notoriété publique. C'est un soprano, le seul soprano garçon d'ailleurs, bien que sa voix commence à muer (prise de testostérone ? vu son gain de confiance en lui, ça ne m'étonnerait qu'à moitié). 

Le professeur de Musique est venu le chercher en plein cours d'Anglais. Il lui a dit de venir, que c'est important.

Gabriel a rougi jusqu'aux yeux dans un silence de mort.

Il est pris en tant que soliste pour un opéra.

— T'as chopé Parkinson, Gab' ?

— Je n'arrive juste pas à y croire Emmy, murmure-t-il. Je n'arrive pas à y croire.

Le soir-même, Jeanne est au courant.

— Tu aimes l'opéra, toi ?

— C'est un ami.

— Depuis quand tu t'impliques dans une quelconque vie sociale ?

26 mai, le cousin de Rita, Valentin (prononcez à l'allemande, [Falènetine], mais je l'appelle à la française), vient d'arriver tout droit de Berlin, pour un pont. C'est la débandade, chez les Wagner. 

Pour résumer : Rita, étant out avec ses parents et dans l'enceinte de notre classe (du moins du groupe de personnes plus ou moins dignes de confiance), ne l'est pas avec le reste de sa famille. Et ajoutez un cousin qui ne parle pas un mot de français qui s'incruste comme ça, tranquillement.

— Mon cousin, dit-elle ce matin à l'arrêt de bus. Valentin, Mathis, Mathis, Valentin.

— Enchanté, Valentin, lancé-je à la française, en tendant la main.

Ich bin sein Cousin. Ich freue mich, Mathis.

Rita tique au « sein », mais en laisse paraître le minimum.

— Qu'est-ce qu'il a dit ?

— Il est très content de te rencontrer, traduit-elle. Er ist mein bester Freund.

— Bon, les Boches, je ne veux pas passer pour un sale Français, mais je ne bite mot à ce que vous dites.

Super, la journée commence bien.

27 mai, 15 heures, Coubon. Falènetine, Rita, Emmy, Louna, Léo, moi. Une heure devant nous. 

— Bordel d'ovaires les gens, z'êtes cons comme des balais ou quoi ? s'exclame Louna en fouillant à droite et à gauche.

— C'est lui le balai, dit Léo en me désignant.

— Je te hais, Léo, je te hais tellement.

28 mai, je suis chez Marie-Rose et François. Comme l'herbe a beaucoup poussé et qu'il se trouve que ni François à cause de son dos, ni Marie-Rose à cause de sa vue ne peuvent la tondre, la tâche me revient sous la supervision de mon « grand-père ». Marie-Rose sort le chien et va chercher le pain, en attendant, la boulangerie étant ouverte le dimanche depuis le changement de propriétaire.

Je constate que Marie-Rose ne se déplace jamais en extérieur sans aide, que ce soit François, le chien ou un ami.

— Mamie devient aveugle, soupire François. Mais t'inquiète pas mon petiot, elle se débrouille toujours aussi bien dans tous les domaines. J'pense que c'est bon pour le gazon. Tu peux ranger la tondeuse ?

— D'accord.

Je la pousse jusqu'au garage, à côté du 4x4 tout aussi imposant qu'il est vieux. François est sous le cerisier quand je reviens, à pester contre les merles venant picorer les fruits. 

Marie-Rose revient vite. Avec le pain, et le chien.

Albert vivra 16 ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant