1. Réapprendre.

231 20 1
                                    

Cela faisait quelques semaines maintenant que je m'étais éveillé, comme j'aime à me le répéter.

Je m'appelle Raphaël, et c'est à peu près tout ce dont je me souviens. Je ne comprends pas ce qu'il se passe autour de moi, ni même en moi. J'ai tout oublié. Il m'a d'abord été difficile de reformuler mes pensées en mots clairs et cohérents. Actuellement, je ne sais pas où je me trouve, quel jour nous sommes, ni même mon âge ou mon nom de famille. L'amnésie totale.

Autour de moi, des paysages à perte de vue. Difficile de me situer géographiquement avec précision, il n'y a que des arbres et encore des arbres à n'en plus finir. Mes chaussures sont usées et trouées, d'après leur aspect, depuis un moment déjà. J'ai beaucoup de mal à formuler un cheminement de réflexion pertinent. Tout se bouscule dans ma tête, je me pose des milliers de questions. Et l'amnésie n'arrangeant rien, je dois tout réapprendre. Manger, me laver, chasser, me cacher, voici mon quotidien désormais.

Le tout premier jour, je me sentais affamé, mais lorsque j'ai voulu manger des fruits cueillis instinctivement, mon corps les a tout simplement rejetés, comme si l'éveil n'était pas seulement mental. Je sortais d'une longue léthargie, je le sentais. Mes jambes me portaient avec peine, j'étais si maigre. Comment expliquer que je puisse me retrouver au beau milieu de nulle part, sans aucun souvenir ? Vraiment, je ne comprends pas, je ne sais pas.

Nous sommes en automne, c'est bien la seule certitude que j'ai. Non, ce n'est pas totalement exact... En fait, plus je réfléchis, et plus je me rends compte que toutes les informations sont là, stockées dans les recoins les plus reculés de ma mémoire. Par exemple, les feuilles rouges, oranges, jonchant le sol, et le soleil encore doux la journée m'ont permis de comprendre que cette saison était l'automne. D'ailleurs, depuis hier, il fait beaucoup plus froid, surtout la nuit. Les premiers flocons de neige sont tombés. Ces éléments me laissent à penser que je me situe dans l'hémisphère nord de notre planète. Notre planète ? Quel est son nom, déjà ? Terre. Je suis le seul humain sur Terre.

Cette pensée me terrifie. Non, elle me glace le sang, me tétanise. En deux semaines, je n'ai pas croisé âme qui vive. Pas une seule trace d'habitation. Bon sang, comment ai-je pu atterrir dans un endroit autant coupé du reste du monde ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

J'ai établi un campement de fortune, dans un petit boyau creux à flanc de falaise. La région est plutôt vallonnée, pas non plus montagneuse, mais suffisamment pour offrir cet abri improvisé. L'instinct humain est diablement bien fait : en effet, je n'ai pas la moindre idée de qui j'étais ni ce que je faisais par le passé, avant le trou noir, mais depuis mon éveil, je me découvre des facultés d'adaptation et de réaction plutôt surprenantes. Les deux premiers jours, je n'étais pas capable de faire la différence entre un bon et un mauvais fruit, puis, à mesure que mon corps s'habitue, mes sens s'affinent. Je dois avouer que je les trouve particulièrement affûtés, je n'ai de toute façon pas d'autre choix que de faire confiance à ce que mon instinct me dicte.

Cet exercice de réapprentissage est vraiment fatigant, je m'explique : le matin, je me lève, et je tente d'explorer les alentours, en poussant un peu plus loin chaque jour. Là, voyez-vous, devant moi se trouve un animal. Il est trop loin et trop gros pour que je puisse l'approcher ou l'appréhender, je le sais avec certitude, et pourtant je ne pourrais pas mettre un nom sur la bête. De la voir, comme un flash soudain, je me souviens qu'elles peuvent être chassées à l'aide d'armes à feux, des fusils. Cela me serait bien utile, dans un sens.

Mais, j'ai cette sensation étrange de communion solennelle avec la nature. Je sais, ça peut paraître bizarre ou complètement dingue, mais au stade où j'en suis, la folie est peut-être bien ce qui m'a conduit au fin fond de cette forêt sans fin rocheuse et vallonnée. Ainsi, je ne me nourris que de fruits et racines, voire occasionnellement de petits légumes sauvages trouvés çà et là. Mince, des petits légumes sauvages ? Ont-ils toujours été présents dans cette forêt ?

Rester seul ne me réussit pas. Moins de vingt jours, et je m'extasie devant un cerf et une carotte... Ah ! Enfin, des mots, des noms, des bribes de souvenirs ! Je sais que je m'améliore de jour en jour, mais savoir qu'une carotte est une carotte ne m'avance malheureusement pas, à moins que je ne m'appelle pas Raphaël Carotte, et quand bien même, mon ami le cerf sera-t-il vraiment surpris de l'apprendre ?... Il fait déjà bien nuit, demain, promis, je lève le camp, et je bouge.

Je ne peux pas me permettre de rester trop longtemps ici, je sens que mes besoins naturels de découverte et ma curiosité veulent me conduire ailleurs. Je n'ai de toute manière pas le choix : il commence à faire beaucoup trop froid, et n'ayant pas encore trouvé de moyen de faire un feu...

MAIS OUI ! Du feu !!! Voilà, mes deux missions de demain : marcher, peu importe la direction, tant que je tiens un cap, m'arrêter lorsque le soleil déclinera et m'atteler à l'allumage d'un feu. C'est décidé : cette nuit sera ma dernière à grelotter et à me tenir recroquevillé pour maintenir ma chaleur corporelle qui n'est déjà pas bien élevée, je peux le sentir. Par chance, cet abri coupe un peu des morsures glaçantes du froid nocturne...

Je n'aime pas particulièrement dormir, mais j'en ai besoin pour retrouver des forces. Depuis que je suis revenu à moi, mes rêves sont bizarres. Je me réveille toujours épuisé, ou plutôt, éprouvé. De plus, dormir signifie s'exposer aux dangers de l'extérieur. Comme je l'avais prévu, je lève le camp. Enfin, façon de parler, puisque je n'ai absolument rien, si ce n'est mes quelques fruits et légumes.

Les bois sont traversés par un chemin assez large. En fait, cela devait probablement être une route, sur laquelle la nature a vraisemblablement repris ses droits. On distingue malgré tout les traces du passé laissées par les roues des véhicules. Ce chemin est parfait pour relier deux traces de civilisations, je vais donc le suivre jusqu'à ce que le soleil n'éclaire plus la route. A ce moment je tenterai de faire du feu avec du petit bois, j'ai un vague souvenir de méthodes que j'essaierai.

L'idée et le réconfort d'un feu s'évanouissent instantanément lorsqu'une flèche frôle mon oreille droite.

Premium.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant