36. Révélations.

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Daniel pèse lourd dans mes bras, et pourtant, il est svelte au possible, mais l'inertie d'un corps inconscient change toute la donne. Nous atteignons le bas des escaliers, et je découvre avec stupeur que l'espace que j'ai connu vide est rempli de prémiums. Cette vision me réchauffe le cœur, cela signifie que les pertes ont été moindres.

"Que s'est-il passé au juste, Ezra ? Demande Gabriel.

- Eh bien, à la nuit tombée, j'ai eu un malaise, mais je n'ai pas perdu connaissance. J'ai senti le danger arriver. Nous avons envoyé Bod en éclaireur, et il a repéré la horde, alors nous avons fait descendre un maximum de monde, mais il était trop tard. Au début, les zombies erraient dans le village et tapaient aux portes et aux fenêtres, puis nous nous sommes rendu compte que les intelligents menaient le groupe, étroitement liés aux "fauptimisés". De fait, Daniel a pris le contrôle des intelligents, afin de paralyser la mise à sac du village. Il a tenu toute la nuit, puis vous êtes arrivés. Les zombies se sont mis à bouger, alors il a mobilisé tout son potentiel pour les contenir tous, et la suite vous l'avez vécue.

- Ce gosse est incroyable ! Un véritable atout ! Tu as bien fait de le mener à nous, Chambers.

- Ne m'appelle pas comme ça, s'il te plaît... Qui est Bod ? Je demande.

- C'est notre flèche ! Il était champion d'athlétisme avant la catastrophe. Il est capable de courir à une vitesse impressionnante. Mais lorsqu'il est arrivé à hauteur de la horde, il était déjà trop tard, ils étaient tout près du village. Il s'appelle Artyom, mais quand on l'a trouvé, en plein éveil, il arrêtait pas de répéter "svaboda, svaboda, svaboda", ça veut dire "liberté" en russe. Sa mère était russe et son père, canadien. Alors plutôt que de l'appeler Artyom, on a choisi Bod. Tu comprends, ça va plus vite. M'explique Ezra.

- Raphaël, je crois qu'il est temps pour toi d'avoir accès à ton dossier... Si tu ne retrouves pas tes souvenirs après ça, on ne pourra plus rien pour toi. Je te préviens, ça risque de te secouer. Tout va changer pour toi une fois que tu auras découvert qui tu es... M'alerte Gabriel."

Ce que je ressens est difficilement descriptible... D'un côté, le soulagement de pouvoir enfin découvrir qui je suis et retrouver ce morceau de moi manquant si conséquent. Mais de l'autre côté, le ton grave que vient d'utiliser Gabriel, il semblait presque inquiet pour moi. Je ne sais pas ce que je vais apprendre sur moi-même, mais au plus profond de moi, mes sens sont en alerte, comme pour me dire "non Raphaël, n'ouvre surtout pas ce dossier, ou tu vas le regretter'.

De toute manière, je n'ai pas véritablement le choix... Daniel ET Angelica viennent de manquer de mourir, et à mesure que le temps passe, je ne peux m'empêcher de me sentir responsable. Oui, après tout, je suis le seul, encore debout, relativement en pleine forme, pendant que mes amis sont à terre, à bout de forces.

Nous nous dirigeons vers une porte : elle donne sur une pièce aménagée en espèce de bureau – laboratoire de fortune. Des papiers, du matériel et tout un tas de bric-à-brac y sont entreposés. La pression monte à mesure que nous nous rapprochons de cette fameuse pochette papier, ces quelques feuilles, qui vont me permettre de me souvenir.

"Gabriel, je dois également te dire quelque chose...

- Oula, qu'est-ce qui peut être plus important que l'accès à tes souvenirs, Chambers ?

- Cette nuit-là, dans le labo de Madder, je n'ai pas été totalement honnête avec toi. Nous avons réussi à récupérer tous les dossiers importants sur l'ordinateur de Madder... Je lui avoue.

- Je le savais déjà, pour être tout à fait franc.

- Alors, pourquoi tu n'as rien dit ? Ni essayé de les récupérer ? Ils semblaient si importants pour toi.

- Je voulais voir si tu étais digne de confiance. Et le fait que tu te méfies de moi, eh bien c'est la réaction tout à fait logique à adopter. Tu as été prudent, tu n'as pas foncé sans même savoir si j'étais là pour t'aider ou te nuire.

- C'est vrai.

- Et pour être parfaitement transparent avec toi, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, nous ne t'avons pas montré ton dossier pour te protéger, pour nous protéger tous...

- Que... Comment ça ?"

Pour toute réponse, Gabriel me fixe avec insistance, avec une extrême gravité, même, et soupire. Tout l'espoir que je pouvais ressentir quelques minutes plus tôt s'évapore instantanément. Je commence à ressentir un profond malaise... Mon cœur bat très vite, beaucoup trop fort. Ma respiration s'intensifie, mes mains sont moites. Je tremble.

Je n'ai pas besoin de poser la question à Gabriel, je sais que mes yeux doivent être incandescents, vif et brillants. Je ressens une peur, comme jamais je n'en avais ressenti. Et pourtant, ces dernières semaines, j'ai été confronté à des dangers et des situations extrêmes, mais un simple bout de papier suffit à me faire ressentir une peur sans nom... Ou si. Primale. Une peur primale, viscérale, à la définition-même de l'être humain, l'animal qui est en nous.

Gabriel sort la pochette, puis marque un temps de pause. Il réfléchit. Je ne sais pas si je dois le remercier ou lui hurler dessus pour cette pause.

"Raphaël, nous avons besoin de ces fichiers. Peut-on procéder à un échange ?

- Je ne les ai pas sur moi, sinon je te les aurais donnés.

- Je dois prendre le maximum de précautions. Je ne peux pas te donner ce dossier sans avoir en échange les fichiers, c'est capital. C'est la seule condition que j'exige pour te donner ton dossier.

- Je te le promets, ils ne sont pas en ma possession... Je les avais confiés à Dan. Je ne sais pas où il les a cachés, même si j'ai bien une petite idée... Mais peu importe ce que contient mon dossier, Dan te les donnera.

- Où penses-tu qu'il les a cachés ?

- Heum... Dans son... dans son caleçon.

- Dans son caleçon ?!

- Oui, c'est la cachette que j'avais choisie pour que tu ne les trouves pas...

- Effectivement ! Je n'aurais pas pensé à plonger ma main dans vos frocs ! C'était bien pensé !... Bon, tiens. Mais promis, Dan nous les donnera une fois réveillé ?

- Si ce que contient ce dossier est aussi grave que tu ne le laisses penser, alors si c'est pour le bien de tous, il le fera même sans mon accord.

- Raphaël... Je ne sais pas pourquoi, mais mon instinct me dit de te faire confiance. Mais dès que tu auras retrouvé tes souvenirs, tout va changer, et je te demande de m'excuser par avance pour ce que je vais faire...

- Qu'est-ce que tu vas faire ?!

- Ouvre, et tu comprendras."

Le ton de sa voix m'achève. Il semble triste. Je prends le dossier non sans le faire trembler comme une feuille. Je regarde une ultime fois Gabriel, comme pour lui demander son accord. Il me fait signe de la tête, puis baisse son regard. Alors je prends une grande inspiration, je ferme les yeux puis ouvre la pochette. Lorsque je rouvre les yeux, mon cœur s'arrête littéralement de battre à la lecture du document.

"RAPHAËL CHAMBERS, 30 ANS, PATIENT ZÉRO."

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