23. Le doute et l'effort.

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Gabriel ne plaisantait pas quand il disait de se mettre tout de suite au travail. Je n'ai même pas le temps de soulager ma vessie que l'un des optimisés vient à ma rencontre. Il m'explique que nous avons un temps très limité, et que je ne pourrai pas maîtriser mon optimisation avant le départ pour New Shelter. Mais heureusement, ou malheureusement ? Ils travaillent sur un moyen d'accélérer le processus, ce qui me permettrait d'assimiler le minimum vital, bien que cela ne suffise pas à en avoir une parfaite maîtrise. 

Le premium m'emmène vers une maison, me séparant d'Angie et Dan. Cela ne me plaît pas du tout, mais je rationalise très vite en pensant à Dan qui a besoin de continuer son entraînement. Nous franchissons la porte d'entrée, puis il m'emmène au sous-sol. Je le suis sans poser de question, mais cela ne me dit rien qui vaille. Nous entrons dans une sorte de cellier servant de garde manger où sont empilées des boîtes de conserve. Tout au fond se trouve une petite porte dissimulée derrière une étagère. Depuis l'entrée de la pièce, elle n'est pas visible, et pourtant, elle n'est pas non plus cachée. Elle est cadenassée. 

Le premium déverrouille la porte puis actionne l'interrupteur de la lumière. Un nouvel escalier s'offre à nous. Comme à mon habitude, ma curiosité prend le pas sur la méfiance, et je lui demande :

"Toutes les maisons sont encore fournies en électricité ?

- Oui, les grandes pontes ont été obligées de remettre en marche les centrales pour pouvoir en avoir, mais l'activité est très variable, il y a des jours où nous en avons toute la journée, et d'autres non. Jake était dans la zone de la centrale avant de tomber sur nous, et il a pu observer pendant quelques jours comment les humains avaient repris le contrôle de la centrale. 

- Intéressant !... Comment tu t'appelles ? Je lui demande.

- Moi c'est Jefferson, mais tu peux m'appeler Jeff, ça sera plus simple. 

- C'est ton nom ou ton prénom ? 

- Tu as vraiment de drôles de préoccupations dis-donc ! Je pourrais t'emmener vers ta mort et tu me demande ça ? T'as l'air d'être un sacré numéro !... Sinon c'est bien mon prénom, mes parents ont toujours été un peu spéciaux. 

- Où m'emmènes-tu ?

- Au bunker. Les proprios de cette baraque ont prévu une véritable forteresse souterraine antinucléaire. Tu vas voir, c'est un truc de dingue. On y a aménagé nos infrastructures de test pour l'optimisation accélérée pour ne pas effrayer les autres. 

- Ce que tu me dis n'est pas rassurant... Je lui confesse.

- Ne t'inquiète-pas. Te dire que c'est sans danger serait mentir, mais les premiers tests ont été concluants... Attention à la tête !"

Ce que venait de me dire Jefferson ne me rassure pas vraiment. Que peuvent-donc être ces tests qui ne doivent pas être à la vue de tous ? Et pourquoi dois-je être nécessairement celui sur qui la méthode finale est expérimentée ? Mes doutes sont renforcés quand je pénètre dans le bunker. Une immense pièce principale s'étend devant moi. Les propriétaires devaient être des personnalités éminentes pour pouvoir se permettre cela. Je n'ai pas le temps de plus rêvasser et j'aperçois les dites "infrastructures" de test, et je peux vous le garantir, un frisson d'effroi me parcours devant cette vision d'horreur. 

Des tables en inox, des ustensiles, et des traces de sang séché. Juste à côté, un énorme container en verre à moitié rempli d'eau, encore en cours de remplissage. Un autre premium était là, assisté par Gabriel. 

"Je suis désolé par avance, tu vas devoir souffrir pour pouvoir accélérer le processus d'optimisation. Cette méthode peut paraître barbare et présente de réels dangers, mais c'est la seule que nous ayons trouvée. M'avoue Gabriel.

- Et en quoi elle consiste, au juste ?

- Nous allons devoir te prélever une quantité importante de sang que nous allons diluer dans ce container. Nous allons ensuite t'y plonger pour provoquer une noyade contrôlée...

- Une noyade contrôlée ?! 

- Oui, c'est la partie la plus dangereuse. Tu vas devoir te noyer dans ton propre sang pour pouvoir déclencher un surplus d'activité dans ton corps. Le hic, c'est que d'une personne à l'autre, le timing diffère, et nous n'avons aucune ressource technologique suffisante pour contrôler ce processus à la perfection. Après cela, nous te ramènerons à toi, et tu auras une à deux heures pour récupérer. Ensuite, tu devras suivre un entraînement accéléré pour que ton optimisation dépasse sa capacité maximum ordinaire. Je vais être franc, tu vas souffrir, et peut-être même mourir. Mais sans cette étape, tu te feras descendre à New Shelter au moindre coup de flippe...

- D'accord... Alors allons-y.

- J'apprécie ta détermination, Raphaël. Si ce plan fonctionne, nous pourrons reprendre l'avantage perdu, et alors je te donnerais accès à ton passé."

Cette ultime phrase renforça ma détermination. Je n'avais plus rien à perdre. Sans gaspiller une seconde de plus, je m'avance vers le scientifique pour qu'il procède au charcutage. A ma grande surprise, il relie un tube au container pour y verser directement mon sang. Je suis étonné par ce que je vois : ce que je soupçonnais au labo de Madder semble se confirmer, l'aspect compact de mon sang en se mélangeant à l'eau, donne un liquide opaque et rouge vif, une ou deux nuances plus clair.

Lorsqu'il me retire le tuyau, je me sens fébrile. Une quantité importante de sang venait d'être prélevée. C'est en titubant que je grimpe l'échelle pour me plonger dans le container. Je jette un dernier regarde au trio de premium en contrebas et je les vois relier ensuite un autre tuyau au container, et y verser un liquide rougeâtre, plutôt pourpre. Je me stoppe net dans mon ascension. Gabriel s'adresse à moi, sur un ton moqueur :

"Ah, j'ai oublié de te dire, pour que ton corps et ton sang réagissent efficacement, le seul stimulateur efficace est le sang de zombie."

Ma tête me tourne un peu. Je souhaiterais faire marche arrière, mais c'est la seule solution. Alors j'inspire un grand coup, je jette un regard dégoûté vers la cuve, puis je plonge. 

Le premier réflexe est de retenir sa respiration. Forcément, l'humain est programmé pour vivre. Je tente d'ouvrir les yeux mais tout ce que je perçois, c'est du rouge. Cette vision est déroutante, c'est comme si un voile écarlate venait de se poser sur mes yeux et, même en les refermant, la vision rouge persiste sur la rétine. Je commence à manquer de souffle et l'angoisse grandit à vitesse exponentielle : je ne pourrais pas reprendre ma respiration, de l'eau va s'infiltrer par mes narines et ma bouche pour remplir mes poumons. Je suis peut-être en train de vivre mes dernières secondes de vie, et je n'ai même pas pu dire au revoir à Angelica et Daniel. 

Je n'arrive plus à lutter et je lâche prise... Le liquide entre en moi. Un infime goût métallique se fait sentir dans ma bouche, ou bien dans mon nez, je ne saurais trop dire. Par réflexe, je me débats. Je tente de frapper aux vitres mais le container est trop grand. Je tente de remonter à la surface, mais le poids de mes vêtements et mes chaussures me retiennent au fond, et Jefferson a très probablement refermé le couvercle de la cuve. C'est l'agonie. Mon corps cherche à s'approvisionner en air mais ce n'est que du liquide. Mes poumons me brûlent, ma gorge se ressert, et ma vue s'empourpre. Tant et si bien que je ne saurais dire s'il s'agit de l'eau couplée au sang, ou bien mes propres vaisseaux sanguins de mes yeux qui cèdent sous la pression de ce combat acharné pour la vie. 

Le rouge clair vire au carmin, puis au pourpre, pour finalement se muer en noir. Pour la troisième et peut-être ultime fois en moins d'une semaine, je perds à nouveau connaissance.

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