32. Fraîches confessions.

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Nous suivons notre plan, et pour le moment, aucun problème à signaler. Tout se passe bien. Enfin, presque. Si l'on ne tient pas compte du silence gênant qui pèse entre Angelica et moi, oui, tout se passe pour le mieux... Aucun passant ne nous arrête, pour le peu que l'on croise. La lumière du jour est sur le déclin, et les hauts remparts protecteurs renforcent cette baisse de luminosité. Nous allons devoir faire vite, aussi, naturellement, nous accélérons le pas, toujours sans un mot.

En gros nigaud que je suis, je n'ose pas ouvrir la conversation. Elle vient de traverser tellement d'épreuves : elle a retrouvé l'homme qu'elle aime, pour découvrir que toute trace d'homme aimant avait disparue. Ce même homme qui l'a faite ensuite assommer puis rendue captive... Et moi, dans tout ça, je ne suis même pas capable de lui dire quoi que ce soit. Et pourtant, j'en meurs d'envie ! Je meurs d'envie de lui demander tous les deux mètres si elle va bien, si le froid n'est pas trop insupportable. Mais je n'ose pas. Je lui laisse un peu d'intimité, le temps pour elle de digérer tout ce qu'elle vient d'emmagasiner en un si court laps de temps.

"Il faut vraiment que tu arrêtes de cogiter autant, Raphaël !

- Mais, je ne cogite pas !

- Tu verrais ta tête de grand penseur constipé !!! Je ne sais pas ce qui te préoccupe tant, mais l'air que tu affiches en serait presque drôle, si le monde dans lequel on vit n'était pas aussi tordu !... Alors, Raph, dis-moi, à quoi ton esprit était-il occupé ?

- Oh, rien de très intéressant...

- Mon œil ! Allez, dis-moi tout !

- Eh bien... Euh... Je pensais à toi."

Voilà. Je l'ai dit. Je me suis réveillé amnésique, échappé d'un asile, j'ai frôlé la mort, plusieurs fois, j'ai été capturé, plusieurs fois également, j'ai été confronté à un zombie dressé pour tuer, je viens tout juste de m'échapper d'une nouvelle prison et à cet instant, mon cœur bat plus fort que jamais. J'ai osé lui dire. Mais quel empoté je fais !

"Je ne sais pas si je dois me sentir flattée ou m'inquiéter, vu ton air...

- Ahahah... Je me disais que tu avais traversé tellement d'épreuves en si peu de temps... Je reste admiratif devant ta détermination et ta force de caractère.

- Attends ! Tu serais pas en train de me faire une déclaration, là ?!!

- Pas du tout... Enfin, pas vraiment. Je t'admire juste, Angie. Je culpabilise également, car depuis que nos chemins se sont croisés, tu te retrouves dans des situations de folie, uniquement par ma faute.

- Raph, je t'arrête tout de suite. Tu n'es pas responsable de tout ce qui nous arrive. C'est arrivé, c'est comme ça. Le monde a évolué comme il était supposé le faire. Les hommes, dans leur folie de tout contrôler, ont fini par donner naissance à cette maladie qui causera leur perte.

- Crois-tu vraiment que ça va causer la perte de l'homme ?

- Bien sûr ! L'homme va finir soit zombifié, soit optimisé.

- D'accord, mais au bout d'un moment, il n'y aura plus d'homme, non ? Il ne restera plus que des premiums. Et quelque part, l'homme sera un peu sauvé.

- Nous ne pouvons pas le savoir. Imagine, les premiums qui ont des enfants, donnent naissances à des premiums, ou des super premiums, car deux premiums entre eux apporteraient deux optimisations à l'enfant... OU PIRE ! Imagine, une fois premiums, les humains ne peuvent plus avoir d'enfant du tout ?!

- Tu as raison... Tu ne veux pas essayer ? C'est pour la science, tu sais !

- Raphaël Chambers ! Si c'est ta manière de me draguer, eh bien c'est raté !"

Et pourtant, elle ne décroche pas son regard du mien, un magnifique sourire illuminant son visage. Elle vient de m'appeler par mon nom complet, ce qu'elle n'avait encore jamais fait. Je crois que dans l'histoire de l'humanité, cette réplique s'inscrit comme l'une des pires jamais sortie à une fille. Je me fais honte, mais pourtant, je ne regrette pas. C'était spontané, j'avais envie de lui faire comprendre, même inconsciemment, même sur le ton de la plaisanterie, qu'elle me fait tourner la tête.

Je dois bien le reconnaître, cette fille me plaît, bien au-delà d'une simple amitié. Mais je ne peux pas me permettre de perdre du temps avec les sentiments. Et comme pour appuyer mes propos, la réalité me rappelle violemment à la raison : le mur se dresse devant nous... mais surtout, des gardes sont en haut, et surveillent toute la zone. Angelica me fait signe de me planquer derrière un baraquement, le temps pour nous d'évaluer la situation et établir une stratégie d'évasion.

Cela ne s'annonce pas bon du tout. Le seul avantage que l'on pourrait tirer serait d'attendre la tombée de la nuit, pour ensuite franchir le mur, à la nage, à contre-courant... Au-delà de l'immense effort que ce plan demanderait, ma plus grande peur est la survie d'Angie au froid glacial de l'eau. Elle m'assure que l'adrénaline lui fera tenir le choc, mais je n'y crois pas. Le corps humain, non optimisé, n'est pas fait pour supporter de telles températures, et cette fois-ci, je n'ai plus de vêtement supplémentaire à lui offrir...

"Si tout se passe bien, Gabriel nous attendra au point de rendez-vous !

- Il n'avait pas dit qu'ils partiraient au bout de deux jours ? Je demande sans conviction.

- Je ne me rappelle plus, mais j'ai un bon pressentiment. Allez, Raph, fais pas ta poule mouillée..."


Raaaah ! Comment ne pas résister ?! Même à deux doigts d'une mort certaine, elle reste des plus convaincante. Je décide de lui faire confiance. Après tout, elle mérite bien un peu de crédit. Elle a été mise à rude épreuve, et de la voir si confiante, cela me rassure et me fait du bien.

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus que j'entends un "plouf" : elle vient tout juste de sauter. Je prends une grande inspiration, puis je m'élance à mon tour, vers une mort certaine, mais cela commençait à devenir une désagréable habitude, si je peux dire...

... A la seule différence que, cette fois-ci, non seulement je ne suis plus seul, mais en prime, la plus charmante des femmes que ce nouveau monde m'ait offert de connaître m'accompagne dans ce périple mortel et, pour une fois, l'idée de périr en si bonne compagnie en deviendrait presque plaisante, si seulement l'eau n'était pas si froide...   

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