41. Le plan.

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Nous devons faire preuve d'efficacité. Désormais, notre temps est compté, et nous n'avons absolument aucun moyen de savoir si, et surtout quand, l'un des deux hommes va frapper la colonie de premiums.

Maintenant que tous les masques sont enfin tombés, et les vérités, dévoilées, nous devons faire face aux menaces de ce nouveau monde. Nous avons créé un mutagène aux effets dévastateurs, mais je n'aurais jamais imaginé qu'une période sans nourriture carnée non infectée permettrait non seulement un retour à l'état d'origine, mais en plus que le système immunitaire serait renforcé !

Je regrette tellement que ces malheureux concours de circonstances aient empêché cette découverte de façon contenue et maîtrisée... Désormais, Alastair et moi sommes les deux scientifiques les plus expérimentés, mais surtout, les plus documentés sur le sujet. Aussi détestable soit-il, nous ne pouvons pas nous permettre de l'éliminer, ni de le laisser en pleine liberté, car il serait capable de créer des abominations, ce qu'il a déjà commencé à faire, d'ailleurs...

Je réalise, en toute humilité, que je suis d'une valeur inestimable pour les premiums. Mais au-delà de toute stratégie, je m'attache tous les jours un peu plus à ces personnes. Après tout, moi aussi, je suis un premium. Je donnerais ma vie pour eux, et je sais qu'ils en feraient de même pour me protéger. Dans ce village, les fondations d'une toute nouvelle ère pour l'être humain se bâtissent, aussi, je veux faire d'eux les héros que les générations futures identifieront comme les sauveurs de l'humanité toute entière.

Nous sommes arrivés au rez-de-chaussée. Daniel est obligé de prendre les devants car les zombies ont pénétré dans la maison. Il évacue le bâtiment, puis se positionne à la fenêtre de l'étage, celle-là même où il se trouvait lorsqu'il avait contenu la horde à notre retour. Je reste près de lui car je ne connais pas les maisons, et les autres premiums doivent agir rapidement pour ne pas mobiliser l'optimisation de Dan trop longtemps.

Je reste un temps à l'admirer. Il ne bouge pas et fait preuve d'une concentration sans égal. Ce qui m'interpelle, contrairement à notre retour, il ne semble pas en souffrance. Non, il semble même en parfaite maîtrise. Je repense alors à notre arrivée dans ce village, et cette petite danse qu'il avait fait faire à deux zombies. Je ne peux réfréner un sourire mécanique.

"Je sais à quoi tu penses, Raphaël...

- Ah oui ?

- Oui. Je suis peut-être concentré, mais l'air béat sur ton visage ne te trompe pas.

- Ah...

- Sans aucune prétention, je peux y voir de la surprise, et de la fierté. A coup sûr, tu es en train de te dire qu'on a fait un sacré chemin... Surtout moi. Je me trompe ?"

Touché ! En plus d'être doué, ce gosse est intelligent. Ça fait tilt dans ma tête : lorsqu'il était un zombie, il faisait très clairement partie des intelligents, sans aucun doute possible. Je le regarde avec une pointe de gêne mêlée à de l'admiration. Il tourne la tête vers moi, et me sourit de son sourire le plus franc et le plus spontané, puis dirige à nouveau son regard vers le village pour reprendre sa concentration.

Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de lui demander ce qu'était sa vie, autrefois. Car, je dois bien l'avouer, son optimisation est quand-même très particulière. Qu'est-ce qui a pu faire dans sa vie passée que sa particularité propre est de contrôler les zombies ? Et pourquoi eux et pas les humains, ni les premiums ?

Je tourne le regard dans la même direction que celui de Dan. Le spectacle qui s'offre à nous est pour le moins étonnant : les premiums courent de maison en maison, tantôt chargés, tantôt les mains vides. On dirait une fourmilière à l'œuvre. Cette vision aurait pu être amusante s'il n'y avait pas toute une marée de zombies immobiles pour obstruer leur passage.

L'un de ces zombies se trouve juste en contrebas. Il semble en lutte, mais ne peut pas bouger. Il regarde dans notre direction. Je réalise que c'est la première fois que je prends le temps de véritablement détailler ces créatures que j'ai malheureusement créées. C'est tout de même étonnant car nous nous amusions des œuvres de fiction dépeignant les zombies, avec Angie, avant de nous faire attaquer par la horde, et je me rends compte d'une réalité affreuse...

Ces "monstres", ces "créatures", quand je les regarde, n'ont rien de monstrueux. Les films, les comics, ou encore la télévision nous ont toujours offert de belles horreurs, dépourvues de toute once d'intelligence. Chair pourrie, mais toujours en mouvement, qui pousse des râles gutturaux...

Là, devant moi... se trouve un homme. Tout ce qu'il y a de plus humain. Sa peau est d'un blanc grisâtre, légèrement tachetée, cela très certainement à cause du régime alimentaire. Les dents sont jaunies, presque rosies, probablement à cause de l'abondance de sang en contact avec elles. Et ce regard, ce regard totalement éteint. C'est ce détail, le plus glaçant : de savoir que cette forme vivante peut revenir à la vie comme nous, mais en le voyant là, en quelque sorte conscient dans sa plus totale inconscience. C'est déchirant. D'autant plus déchirant que les cordes vocales ne sont pas altérées...

Non, les zombies ne parlent pas, dans la réalité. Mais ils poussent bien des râles, de leur voix la plus naturelle. Et ces râles, ces gémissements, sont comme des plaintes, identiques à celles des contes fantastiques d'Irlande et leur Banshee, à l'exception près qu'il ne s'agit pas d'un conte fantastique, mais bel et bien la réalité. Le cri, qui relève plus d'une lamentation qu'un véritable son vif et puissant, vous hante. C'est l'animal, la bête primale qui exprime sa douleur, à la fois intense et étouffée, si cela est vraiment possible...

Et devant moi, des dizaines, et des dizaines, et encore des dizaines de zombies, des hommes, des femmes, et des enfants, qui poussent leur cri, comme une armée de banshees qui vous annoncerait la mort imminente de tout être humain non infecté sur Terre.

"Eh, Raph ! C'est bon, ils ont tout récupéré ! Maintenant regarde l'artiste !!!"

Daniel me sort de mes pensées, et s'exécute. Tout à coup, les zombies se remettent en mouvement, mais de manière organisée. Les cris s'arrêtent, temporairement, et chaque petit groupe rejoint une maison. Lorsque l'extérieur des bâtisses se retrouve libéré de ses zombies, les premiums passent verrouiller les portes d'entrée. Une pensée me frappe alors...

"Dan ! On fait comment pour contenir des zombies intelligents ?!..."

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