3. Une alliée inattendue.

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"Allez, viens ! Ne perdons pas de temps, nous devons rentrer avant qu'il fasse nuit."

Cette phrase m'emplit d'une joie innommable ! Cette fille ne me connaît pas, et elle me sauve la vie. Et pour couronner le tout, elle m'invite à rester avec elle. Une pensée se forme dans mon esprit et me met en garde. En temps normal, j'aurais hésité, voire cherché à connaître cette étrangère avant de la suivre aveuglément. Mais compte tenu des circonstances inédites dans lesquelles je vis depuis quelques semaines, et compte tenu du peu d'alternatives dont je dispose, le choix est tout fait.

Je la suis à travers la forêt. C'est amusant, car si on ne sait pas que cet endroit est son territoire, on pourrait croire qu'elle zigzague entre les arbres de manière totalement aléatoire. J'imagine que des pièges sont disposés également tout autour de nous, ainsi je ne me risque pas à m'écarter du tracé qu'elle suit. A mesure que nous avançons, je ne peux que constater à quel point les arbres de cette portion de forêt sont immenses. C'est incroyable ! Comme s'ils avaient été là depuis toujours, et que même le ciel ne représentait pas de limite pour eux.

Ma surprise est grande lorsque je la vois s'arrêter net devant un arbre que l'on dirait en apparences identiques aux autres. Non, en y regardant de plus près, il est bel et bien identique aux autres, à un minuscule détail près : certains arbres étaient recouverts de sortes lianes, ou de branchage grimpant, je n'y connais rien en botanique. Ma sauveuse entame une ascension assurée puis se rend compte que je ne la suis pas.

"Qu'est-ce que tu attends ?

- Je... euh, je ne sais pas grimper aux arbres. Je lui réponds.

- Vas-y à tâtons, j'ai taillé des encoches, tu ne peux pas les voir avec les feuilles, sois prudent !"

Heureusement pour moi, le nombre d'encoches qu'elle avait taillé était suffisamment conséquent pour ne pas perdre trop de temps. J'avance malgré tout très lentement car la hauteur à escalader est importante. Je me surprends à me demander si je survivrais à une chute, si cela ferait mal. Les scénarios dans ma tête défilent et s'enchaînent et me donnent un peu plus la chair de poule alors que je sens la transpiration perler sur mon front. C'est en voyant la main tendue de mon alliée de fortune que je m'aperçois que je n'ai pas vu passer la montée, trop absorbé à imaginer une mort certaine au moindre faux mouvement.

Il fait froid, voilà pourquoi j'avais la chair de poule... Je pensais que nous étions arrivés, mais mon soulagement se métamorphose en déception quand je vois la jeune fille continuer à avancer, cette fois-ci de branche en branche. Elle avait aménagé des petites planches de bois, de manière si discrète qu'il est impossible de les voir de tout en bas, mais suffisamment larges pour assurer une zone d'appui stable pour les pieds humains. C'était un véritable parcours du combattant, cela avait dû lui prendre un temps monstrueux pour tout mettre en place.

Cette pensée se renforce lorsque je découvre sa planque : une véritable maisonnette en bois, dans les arbres ! C'est démentiel, la cabane rêvée quand on est gosse ! Elle est cadenassée et ne possède qu'une seule et unique fenêtre, si l'on peut appeler ça une fenêtre. Je marque un temps d'hésitation avant d'entrer, puis je me décide.

"Home, Sweet Home ! Bienvenu dans ma majestueuse demeure ! Me lance-t-elle.

- C'est cosy ! Je m'étonne à lui répondre.

- Comme tu peux le voir, c'est minuscule, mais suffisant pour vivre à l'abri. Je m'appelle Angelica, désolée pour le manque de dialogue plus tôt, il fallait que l'on bouge vite.

- Euh, pas de problème.

- Et toi, comment tu t'appelles ? Me demande-t-elle.

- Je m'appelle Raphaël.

- En plus de parler, tu as un prénom, intéressant..."

Cette dernière remarque me fait tiquer, mais elle ne me laisse pas le temps de réagir. Sa réaction paraît tout à fait normale, ainsi elle continue sa visite sans même se soucier de mes états d'âme.

"J'ai un petit coin lit et un autre sanitaire. Tu te doutes que c'est un bien grand mot ! T'as un bac pour te laver, et un autre pour faire tes... besoins. Voici des couvertures, tu devras dormir à même le sol.

- Ne t'inquiète pas, tant que je suis en sécurité, le sol me va !

- Je vais préparer de quoi manger, puis nous aurons notre discussion...

- Notre discussion ? Je me risque à répéter.

- Bah oui, qui tu es, d'où tu viens, ce que... tu es... tout ça, quoi. Allez, réchauffe-toi, je ne serai pas longue !"

Cette dernière remarque me paralyse... Ce que je suis ? Je suis un homme ! N'a-t-elle jamais vu d'homme dans sa vie ? Alors, oui, c'est sûr qu'un homme errant en pleine forêt sans savoir où il va, c'est pas anodin, mais de là à me poser cette question... Elle se tient juste à côté de moi, concentrée à préparer le repas, qui consiste en une espèce de bouillie en boîte. A première vue, je dirais des légumes, je ne vais pas faire la fine bouche, c'est le premier véritable repas que je mange depuis que je suis revenu à moi.

Nous nous installons par terre pour manger. Le début du repas est silencieux. En fait, je dévore ce que j'ai dans mon bol plus que je ne mange, et cela a l'air d'amuser autant qu'inquiéter Angelica : elle me regarde avec insistance, au point de ne plus manger elle-même. Je risque alors :

"Hmmm. Quoi ?

- Rien, rien... C'est... Surprenant.

- Qu'est-ce qui est surprenant ? Je l'interroge.

- Toi. Bon, allez, dis-moi tout.

- D'accord... Euh... Eh bien, il n'y a pas grand-chose à dire, en fait. J'ai oublié tout de ma vie, je crois que je suis amnésique. Il y a un peu plus de deux semaines, à en juger par le nombre de jours que j'ai comptés, je me suis éveillé, en plein milieu de la forêt, sans aucun souvenir de quoi que ce soit qui ait pu se passer avant.

- Oh pu-tain !... T'es pas sérieux ?!

(Le changement de ton chez elle me surprend, jusqu'à ce que je réalise qu'elle se parle plus à elle-même qu'à moi véritablement.)

- C'est impossible ! Elle renchérit.

- Mais ! Explique-moi ! D'abord tu me demande ce que je suis, et ensuite tu me traites comme un phénomène de foire !

- Raphaël, dis-moi, tu t'es vu depuis que tu es revenu à toi ? Je veux dire, un miroir, le reflet de l'eau ?

- Non, pas vraiment, la seule source d'eau que je trouvais venait de la pluie ou des flaques d'eau, mais ce n'étais pas suffisant pour que je me regarde. De toute façon, j'avais d'autres chats à fouetter que de m'admirer, comme survivre, par exemple.

- Tu m'étonnes que t'as bien survécu !... Raphaël, c'est démentiel ce qu'il se passe !

- Mais bon sang, quoi à la fin ? Je m'énerve.

- Tu ne sais vraiment pas ? Mec, t'es un zombie. T'es un putain de zombie qui parle !"

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