4. Identités.

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Je n'arrivais pas à croire ce qu'Angelica venait de me dire. Non, c'est quoi cette histoire, encore ? Ce n'est pas possible, les zombies, c'est de la fiction ça, c'est n'importe quoi ! Mon esprit refuse d'accepter les paroles de ma sauveuse, alors qu'elle me fixe toujours avec son air intrigué. Ma réaction semble l'amuser, car peu à peu, les traces de méfiances sur son visage s'évanouissent. Mais, bon sang, qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Raphaël ?!

"Co... Comment ça, je suis un zombie ?

- Attends, ne bouge pas, je vais te montrer. Prépare-toi, tu risques d'avoir un choc."

Elle se lève pour prendre un petit miroir dans la partie sanitaire de fortune, et me l'apporte. Je n'ose pas regarder, mon cerveau refusant toujours d'accepter les paroles d'Angelica. Comme si elle lisait dans mes pensées, Angelica pose une main sur mon avant-bras, accompagnée d'un regard encourageant. Ce geste me fait retrouver temporairement la raison. Je prends une grande inspiration, puis je lève la glace devant moi.

Et effectivement, c'est le choc. Je n'en reviens pas de ce que je vois dans ce miroir. Non, clairement, ceci n'est pas un homme. Qu'est-ce que je suis ? Une monstruosité, une aberration de la nature. Merde, comment est-ce possible ? Mes dents sont jaunies et assez acérées, mon teint est blafard, sans parler de mes yeux, mi rouges, mi noisette. Mes cheveux blonds tirent sur le gris. Le plus impressionnant, je crois, ce sont les veines apparentes, on me croirait tout droit sorti d'un film d'horreur.

"Mon Dieu, mais qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?

- Je n'en sais rien, mais t'es le putain de premier zombie qui parle que je croise !

- Non, Angelica, je suis humain, je mange comme toi, je parle, je pense.

- Peut-être, mais physiquement, tu as tout d'un mordu ! Les fringues trouées, la tronche de macchabée... Tu trouves pas ça bizarre de ne pas avoir les cheveux longs, ni de barbe qui pousse ? Sans parler de tes yeux... Elle demande.

- Maintenant que tu le dis, oui, c'est vrai, je n'ai rien de tout ça, c'est bizarre."

Je ne peux pas décoller mes yeux du miroir. C'est tout simplement incroyable. Au sens littéral du terme. Je n'arrive pas à croire ce que je vois. C'est de la folie ! Je sens un accès de panique s'emparer de moi : transpiration, tétanie, beaucoup de mal à respirer. Qu'est-ce que je suis censé faire ? Qui suis-je réellement ? Quel est ce monde dans lequel nous vivons ? Avec des zombies, et des survivants ? Mon corps prend le relais sur mon esprit et dans un geste instinctif je repose le miroir. Je dois avoir un air abattu à en croire la pression qu'exerce la main d'Angelica sur mon bras. Je me risque à la regarder, et c'est un visage empreint de compassion que je vois. J'ai besoin de briser le silence :

"Je vais avoir besoin que tu m'expliques un peu ce qu'il s'est passé pendant que je n'étais pas... moi.

- Bien sûr ! Attends, tiens, prends ça, et ouvre grand tes oreilles !

- Qu'est-ce que c'est ?

- Des espèces de bonbons au miel, que j'ai fait moi-même. Tu es prêt, Raphaël ? Alors c'est très simple, il y a deux ans, une catastrophe scientifique a eu lieu dans un laboratoire proche de la frontière. Au cas où tu l'aurais oublié, je préfère te le dire, nous sommes au Canada, ici. Au départ, personne n'en a entendu parler, car les faits s'étaient déroulés dans le labo, et le groupe à la tête de ce labo a réussi à contenir le virus, ou je ne sais quoi. Parce qu'en fait, nous ne savons pas exactement ce qui a causé cela, mais nous savons juste que le patient zéro vient de là-bas.

- Mais, si ça a été contenu, comment y'a-t-il pu y avoir virus ou propagation ? Je lui demande.

- Eh bien, figure-toi qu'un groupe d'activistes manifestant contre les lobbys pharmaceutiques ont décidé de mener une action auprès de plusieurs laboratoires, dont celui-là. Et ces cons-là ont fait s'échapper les infectés ! Contrairement aux films, dès que cela s'est su, tout a été assez vite, notamment la coupure totale des échanges internationaux. Il faut dire, les zonzons étaient pas bien féroces au début, facilement tuables. Mais, tu parles, un pays comme les Etats Unis, c'est peine perdue. Ils ont fini par proliférer, ils ne connaissent aucune frontière, eux. Mais après, ça s'est compliqué.

- Compliqué ? Comment ?

- Nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas un, mais plusieurs types d'infectés. La plaie, je te raconte pas ! Des mous, des agités, des intelligents... Alors attention, intelligent, c'est un bien grand mot ! Disons qu'ils n'avancent pas bêtement, utilisent des ressources pour obtenir ce qu'ils veulent. C'est pour ça qu'au début, même moi je t'avais pris pour un zonzon intello. C'est quand tu as parlé que j'ai compris que tu étais différent de tout ce qu'on a vu jusqu'à présent !

- Mais du coup, je fais partie d'une quatrième catégorie de zombie, c'est ça ?

- Euh, eh bien, ça, je dirais que non. Au début je le pensais. Mais je vois bien que tu as beaucoup d'attraits humains. Et très franchement, on en aurait entendu parler depuis longtemps si des zombies avaient la parole. Par contre, la couleur de tes yeux, j'avais encore jamais vu ça. Les zonzons ont les yeux normaux, pas rouges... Bon, j'ai suffisamment parlé, comment s'est produit le changement pour toi ? Enfin... je veux dire... je suis consciente que tu ne saurais pas m'expliquer exactement si tu n'as aucun souvenir, mais peux-tu au moins me décrire ce que ça fait ?

- Bien sûr ! En fait, c'est un peu comme se réveiller d'un coma, sortir d'une longue léthargie. Je suis revenu à moi peu à peu. En fait, je crois que c'est mon cerveau qui a repris son activité neuronale normalement. Je sentais les changements, et des centaines d'informations affluaient d'un coup dans ma tête, c'était fou. Au début, je ne pouvais pas manger du tout, mon corps refusait la nourriture. J'imagine qu'étant zombie, j'étais habitué à manger de la chair humaine.

- Pas nécessairement, vous vous attaquez à tout ce qui est vivant et qui a de la viande, animaux compris. Ajoute Angelica en croquant un bonbon au miel.

- Ah... Euh... oui. Et puis petit à petit je me suis réhabitué à manger. J'étais maigre et fébrile, j'étais proche de mourir, j'en suis certain. J'ai dû m'adapter, trouver une cachette et survivre. Je ne te raconte pas la frustration de ne pas savoir qui je suis, ce que je fais.

- Ce devait être horrible... Mec !!! T'es un putain de cas scientifique ! Et c'est sur moi que tu tombes !... Tu... Tu es sûr que je ne risque rien à dormir dans le même abri que toi ? Je veux dire, t'as pas des moments où tu redeviens zombie et tu attaques ce que tu vois ?

- Oh non, ne crains rien, je n'ai pas vécu une telle chose ! Non, si j'ai vraiment été zombie, on dirait bien qu'il se produit le processus inverse de l'infection. Merde, j'étais quand-même pas devenu le vieux mort-vivant cliché de films d'horreur quand-même !"

Le choc fut violent, la douleur insoutenable, et l'effet paralysant. Cette phrase, je l'avais déjà prononcée plus ou moins mot pour mot par le passé, et à cet instant, je venais de m'en souvenir.

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