48. Accélérer la cadence.

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Voilà maintenant quelques heures que nous marchons. Personne n'ose parler. L'ambiance est extrêmement lourde. Tout peut arriver. Plus rien ne se déroule comme nous l'avions prévu : nous avons laissé Daniel au village, inconscient ; Caleb et Bod ont été trahis par Jessie et sont entre les mains d'Alastair, et nous... Eh bien, comme prévu, nous sommes sur le point d'arriver à New Shelter, mais nous n'avons plus notre atout majeur : le contrôle des zombies. Ceci est un réel problème : même si nous sommes un groupe assez conséquent, allez, grosso modo, trois cents ou quatre cents premiums, une fois sur place, nous allons nous faire massacrer, purement et simplement.

Notre unique potentiel atout n'en est plus un : Angie. Elle a réussi à énerver Erwan. Nous ne pourrons plus rien tirer d'elle. Elle risque même très gros en venant avec nous car l'homme qui était encore peu son compagnon cherchera très certainement à la garder captive, ou pire...

Je ne le laisserai pas faire. La rencontre avec Jessie, avant que l'on apprenne sa traîtrise, m'a donné une idée : prendre une nouvelle apparence. Je vais pouvoir ainsi terminer l'infiltration que nous avions démarrée avec Angie lors de notre première visite. Concrètement, je ne sais pas du tout comment opérer cette transformation, car je ne contrôle pas mon optimisation.

Je profite du calme de la nuit pour faire une introspection, faire le point sur tout ce que j'ai vécu depuis l'éveil. C'est assez fou, ce que l'humain peut encaisser, sans même se rendre compte qu'il a cette capacité en lui. Si l'on m'avait dit, dans ma vie d'avant, que j'arriverais à supporter tout ce que j'ai traversé, en un si court laps de temps, je n'y aurais pas cru. Et pourtant, je suis là, plus vivant que jamais.

Toute cette mission repose sur moi, désormais. Non... Tout l'avenir des premiums repose sur moi. Je n'ai pas le droit à l'échec. Je dois réussir. Nous prenons un risque inconsidéré : les trois-quarts des premiums sont là, ce qui signifie que si nous échouons, Erwan et les habitants de New Shelter auront l'opportunité de faire un véritable bain de sang.

Cette expédition avait du sens avec Daniel... Il aurait pu prendre le contrôle de tous les zombies de New Shelter, puis les retourner contre Erwan et ses hommes de main. Mais je me fais une raison : je préfère le savoir en sécurité, aussi relative soit-elle, au village, en train de se reposer, car il était vraiment à bout de forces.

Gabriel a pris ses dispositions : les premiums restés au village se sont retranchés dans la partie souterraine, pendant qu'un petit groupe monte la garde en surface. Il ne fait aucun doute qu'Alastair va mener une attaque contre le village. S'il a réussi à obtenir tous les renseignements nécessaires de Jessie, il saura qu'il ne craint presque rien, tant que Dan reste inconscient.

Il s'agit véritablement d'une course contre la montre. Chaque seconde est précieuse, et surtout, déterminante. Nous nous trouvons à l'orée du bois, ce qui signifie que New Shelter n'est plus très loin. Je m'arrête. Je prends une grande inspiration. Je...

"... Trembles ?

- Quoi ? Je demande.

- Raph, tu trembles. Me répond Angie.

- Oui... J'ai peur, Angie. Je n'ai pas le droit d'échouer. Mais je ne sais pas comment faire.

- Concentre-toi, pense à Dan... pense à moi."

Cette simple phrase m'envoie une vague de chaleur dans tout le corps. Elle a raison. Je dois le faire pour mon ami, mon fils de cœur, et pour elle, qui occupe toutes mes pensées et pour qui je donnerais ma vie sans condition.

Je lâche sa main qu'elle avait gardé dans la mienne tout le long du trajet, puis je ferme les yeux. J'essaie de faire le vide totalement, mais c'est compliqué. Alastair, Erwan, le village, les premiums, Dan, Angie... Alastair, Erwan, Dan, Angie... Alastair, Dan, Angie... Dan, Angie, Erwan... Angie, Erwan... Erwan... Angie... Dan... Dan... Angie... Dan...

Moi. Voilà. J'y suis. Je m'imagine... Plus grand, plus musclé, les cheveux plus longs, noirs, et une barbe à la fois fournie, négligée mais pas trop proéminente. Les yeux bruns et une cicatrice apparente sur le visage, pour brouiller totalement les pistes. Puis, j'ouvre les yeux, et...

C'est l'enfer ! Mon corps brûle de l'intérieur, je ne vois plus rien, je n'entends plus rien. Par réflexe, je tombe, à genoux, et je tente de contenir un besoin viscérale d'hurler. Je n'arrive plus à respirer. C'est le black-out total, mais je suis toujours conscient, car mon corps me fait souffrir le martyr. Mes sens m'ont abandonné, la douleur prenant le dessus. J'ai l'impression que ça dure des heures !... Bon sang, faites que cela cesse ! Tout de suite !...

Mon cerveau reprend le dessus... quand je réalise que je pleure de douleur. Le contact des larmes chaudes sur le haut de mes joues fraîches, mais qui n'arrivent pas jusqu'à la bouche... Voilà ce qui a réactivé l'activité cérébrale. Je tente de calmer ma respiration, et je porte une main à la joue, et je sens une barbe épaisse que je n'avais pas quelques minutes plus tôt.

"Bordel, Raph, ça va ?!!

- Ouais... ouais... ça... ça va... je crois."

Je tente de me relever, non sans tituber un peu. Angie me soutient, mais me regarde avec un air à la fois curieux et méfiant. Je régule mon essoufflement, puis je regarde Gabriel et le reste du groupe. Je ne distingue pas très bien dans le noir, mais à voir leur tête, pour les plus proches de moi, la transformation doit être radicale !

"Raph, ça va aller pour continuer ? On doit se dépêcher, le jour va bientôt se lever, la lumière commence déjà à se faire plus claire... Me dit Gabriel.

- Oui, allons-y..."

Voilà. Je viens de réussir ce que je pensais impossible. D'ailleurs, le scientifique que j'étais ne croirait pas ce qu'il vient de se produire. Heureusement, je ne peux pas me voir, et j'ai l'impression d'être toujours le même, si ce n'est cette barbe qui me gratte. Ma voix a un peu changé, mais c'est très léger, un peu plus grave, je dirais.

Nous avançons à pas rapides, mais discrets. Le mur se dresse devant nous, on peut à peine l'identifier clairement, mais sa taille imposante laisse tout le groupe en admiration. Gabriel me demande comment une telle construction a pu être édifiée en si peu de temps, ce à quoi je ne peux que lui répondre par : je ne sais pas. Cela avait dû mobiliser un nombre d'habitants considérable, jour et nuit, sans répit.

Et cette question devra rester en suspend car nous arrivons à hauteur du cours d'eau. Nous le longeons, et nous plongerons relativement au dernier moment, pour ne pas faire prendre trop de risques à Angie, la pénombre nous donnant encore l'avantage pour une bonne heure, maximum.

Je me demande comment un tel groupe va réussir à passer inaperçu car même si nous y allons les uns après les autres, on parle quand-même de plusieurs centaines de personnes aux yeux rouges ! Niveau discrétion, on a vu beaucoup mieux...

A partir de maintenant, plus personne ne doit parler, ni produire le moindre son. Nous ne pouvons pas plonger dans l'eau, mais entrer le plus discrètement possible. La garde est probablement renforcée...

L'instant d'après, tout va très vite : Gabriel plonge dans l'eau, suivi par quelques premiums, puis, une lumière vive est braquée sur nous, les premiums s'agitent, je perds Angie de vue... Personne ne comprend ce qu'il se passe, tout le monde se bouscule... Instinctivement, je regarde vers le haut du mur, et je vois des torches, mais je ne peux rien distinguer de plus à cette hauteur...

Des premiums commencent à crier, hurler. Je cherche Angie désespérément mais ne la trouve pas... J'entends, au loin : "assommez-les tous mais gardez-les en vie, ordre du patron !". Je reconnais la voix d'Erwan. J'entends des tirs d'armes à feu, mais pas moyen de savoir s'il s'agit de tirs premiums ou bien de tirs ennemis... La panique commence à s'emparer de moi...

Je tente une ultime fois de trouver Angelica quand un premium me heurte et, sans avoir pu obtenir la confirmation qu'Angie était encore présente sur la berge, je me retrouve dans l'eau, porté par le courant.

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