26. New Shelter.

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Quelques heures venaient de s'écouler, mes pieds sont en compote. Je me rends compte avec douleur que j'aurais eu besoin de plus de temps pour recouvrer mes forces, mais malheureusement, le temps, nous n'en avions plus. Le bois commence à se clairsemer, les arbres se font moins denses. Gabriel ralentit et me fait un rapide briefing sur ce qui m'attend, mais pris par un accès de panique, je ne retiens pas la moitié de ce qu'il me dit. 

Je suis sur le point de pénétrer en territoire hostile où le moindre faux-pas me coûtera la vie. La forêt se mue en clairière, puis les fourrés laissent place à de vastes plaines. Au loin, une vision aussi étrange que menaçante s'offre à nous : un mur immense. Et encore, avec la distance, il ne paraît pas si grand que ça, mais à mesure que l'on se rapproche, je prends conscience de l'imposante taille de cette construction. 

Gabriel me tire vers le côté : ils ne peuvent pas continuer plus sans prendre le risque de se faire repérer et tuer. A quelques kilomètres, un petit verger se trouvait là, et c'était là que Gabriel et les deux autres premium avaient prévu de rester le temps que je rassemble suffisamment d'informations pendant qu'Angelica tenterait de retrouver son petit ami et le rallier à notre cause, ce qui équivalait pour eux à quarante huit heures maximum. 

La pensée de ce qu'elle devrait faire pour qu'il l'aide totalement me frustrait. Mais je n'avais pas à ressentir ça. Et pourtant, je n'arrivais pas à me faire à cette idée... 

Nous marchons pendant plusieurs dizaines de minutes, et le mur semble garder la même hauteur, mais cependant s'étendre sur la longueur, si cela avait seulement été possible. Je réalise avec appréhension que cette construction avait soit pris des années à réaliser, soit mobilisé un nombre affolant de personnes à ériger. Nous finissons par rattraper une route qui mène tout droit à une grande entrée, encore assez loin devant nous. Ce devait être l'entrée principale de New Shelter. Je ne sais pas si c'est l'appréhension ou le silence trop pesant qui l'a décidée, mais Angie me lance : 

"Tu es prêt Raph ?

- Je ne suis pas sûr de pouvoir te répondre réellement... 

- Moi non plus, je ne pense pas être prête, rassure-toi. Me confie-t-elle.

- Pourtant, tu vas revoir ton copain.

- Justement, c'est ce qui me fait peur.

- Pourquoi ça ?! Je lui demande.

- Tu ne le connais pas. Et je ne sais pas si après tout ce temps, je le reconnaîtrais...

- Il n'y a pas de raison... Vous vous aimiez avant. Le monde a changé. Vous aussi, certainement. Mais pas l'amour que vous ressentez. Je tente maladroitement de la rassurer.

- Eh bien, je ne sais pas du tout, et c'est ce qui me préoccupe. 

- Sois naturelle, et tout ira bien.

- Merci d'essayer...

- Essayer quoi ?

- De me rassurer. Ça marche pas vraiment, mais j'apprécie le geste. Si au moins un de nous deux est confiant, j'imagine que ça ira. Me dit-elle.

- Je ne veux pas t'inquiéter, mais je suis tout sauf confiant, là..."

La vérité est simple : je suis terrifié. Heureusement pour nous, ce n'est pas une peur mordante qui prend le contrôle de vous jusqu'aux os. Non. Cette peur que je ressens, c'est une sorte de voile qui vous recouvre, et qui vous provoque un frisson incessant, suffisamment intense pour vous faire grelotter, mais pas suffisamment pour vous faire perdre le contrôle. 

Nous approchons de l'entrée. La porte s'ouvre, et un groupe d'individus apparaît. Ils nous barrent la route. Nous échangeons un regard inquiet avec Angie. Désormais, nous avançons en terrain miné. L'avenir des premium dépend de nous, et je ne dois surtout pas laisser paraître une once de peur. Angie me prend le bras, comme pour me donner un dernier élan de courage silencieux, ce à quoi je réponds par un sourire, ou une tentative de sourire, à en juger la tête amusée d'Angelica.

"Pas un pas de plus. Restez où vous êtes !

- Nous venons... Commence Angie.

- Qui t'as dit que tu pouvais parler ! Ferme-la ! C'est moi qui parle ici ! Les gars, attachez-les ! 

- Attendez, je veux parler à Erwa..."

Angie n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'un des gros bras de l'homme hostile la frappe sans ménagement. Cette vision me fait perdre mes moyens et je me débats violemment, suffisamment pour donner un coup de coude qui amoche le nez d'un de mes assaillants. Je n'ai pas le temps d'effectuer un quelconque autre mouvement. Je me retrouve ligoté et bâillonné. J'essaie de voir le point positif : au moins, je ne suis pas assommé...

Mon cœur manque de s'arrêter de battre quand le chef de groupe ajoute : "Allez, les amoureux, un dernier regard car vous ne vous reverrez jamais ! Sean, amène-la au bloc C. Je m'occupe de l'agité ! Les tourtereaux, bienvenue à New Shelter ! Ahahaha !" Angie me regarde terrifiée, me fait un signe à peine discret en fermant les yeux et baissant la tête. Heureusement, dans la cohue, personne ne remarque, mais je comprends que mes yeux doivent trahir ma condition de premium, alors je baisse les yeux.

Nous passons la grande porte qui est gardée par une armée de sentinelles humaines armées jusqu'aux dents. Aucune chance d'entrée, ni de sortie. Je tente de maîtriser ma respiration et de calmer mes nerfs. Je flirte avec la mort actuellement. Heureusement pour moi, ou malheureusement, je suis jeté dans une cellule très rudimentaire, proche de l'entrée de New Shelter. Je suis seul, personne ne me surveille. Je peux me permettre un instant de panique.

Je commence à croire qu'Angelica et moi ne sommes pas faits pour rester ensemble dans un même endroit : tout est toujours fait en sorte pour que nous soyons séparés. Je me demande si un jour nous aurons réellement l'occasion de nous poser pour apprendre à se connaître, sans se soucier de notre survie. Seul, dans le froid, je m'autorise à pleurer en pensant à un confort et une quiétude très certainement à jamais perdus. 

Pour la première fois de ma vie, même sans souvenir, j'en suis sûr, je pleure toutes les larmes de mon corps. Toutes les digues, tous les remparts, lâchent. J'étais quelqu'un, et je ne suis plus personne. Tout ce à quoi je tiens dans ce nouveau monde est fragile et surtout, inaccessible. Je me sens si seul et si vulnérable. Je n'ai pas la moindre idée de ce que l'heure qui suit sera.

Au bout d'un certain temps, qui m'a semblé être des heures, je remarque que la petite fenêtre tout en haut de la pièce laisse passer la lumière du jour qui est en déclin. Je suis trop petit pour l'atteindre et, de toute manière, les mains attachées dans le dos, je ne peux rien faire. Je me trouve en sous-sol, il ne doit y avoir qu'une seule issue. Ce bâtiment devait être un petit poste de police de proximité avant l'incident. Je réussis à reprendre contenance, mon esprit d'analyse reprend le dessus sur mes émotions, et cela me rassure. 

Je dois me concentrer sur ma mission, Gabriel et tout le village des optimisés compte sur moi, ainsi que Dan, qui s'y trouve. Cette pensée libère une décharge apaisante et salvatrice. Son image dans mon esprit m'apporte un doux réconfort et je décide de me raccrocher à cela. Angelica et Daniel sont mes phares dans la nuit noire qu'est ce monde sordide dans lequel nous devons survivre. 

Je suis tiré de mes pensées quand j'entends une porte qui s'ouvre au loin. Machinalement, je me recule contre le mur du fond. La porte se referme. J'entends un pas. Puis un second. Puis un troisième. La personne qui s'approche a une démarche lente, presque surnaturelle, comme si elle était handicapée. J'entends un léger son guttural, entre le râle et le raclement de gorge. Puis plus rien. La personne s'est arrêté juste avant ma cellule. 

La lumière s'affaiblit de plus en plus rapidement. La nuit tombe. Il fait quasiment noir, et un simple halo léger émane du couloir où se trouve l'individu. J'entends un bruit de clés et cela ne me dit rien qui vaille. Je vais passer un sale quart d'heure. 

Les bruits de pas reprennent, et la silhouette apparaît à travers la grille. Mon cœur s'arrête de battre à la vision d'horreur qui s'offre à moi : un zombie se tient là, de l'autre côté, sous la petite ampoule à faible intensité. Et, chaque centimètre carré de ma peau est parcouru d'un violent frisson...

Le zombie juste devant moi me fixe avec un regard intense. Une sensation inconfortable s'empare de moi quand je prends conscience que tout dans son attitude n'avait rien d'un zombie, mais bien d'un humain. L'horreur s'intensifie lorsque j'ai l'impression de le voir afficher un sourire sadique sur son visage.

La seconde suivante, il enfile la clé dans la serrure, occultant la source de lumière, et tout ce que j'entends ensuite, c'est un râle à vous glacer le sang, puis, sans que je puisse réagir, je sens ses mains froides se poser sur moi.

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