33. Question de survie.

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Brrrrr ! Mais quel froid mordant ! S'il n'y avait pas Angie, je crois bien que je serais déjà mort de froid. Et pourtant, mon corps supporte mieux le froid que les humains non-premiums. Je me raccroche à ma bouée de sauvetage : elle est là, devant moi, silencieuse, concentrée, mais plus déterminée que jamais. Je ne peux que constater que son plan est une pure réussite : nous avons réussi à franchir le mur, mais nous devons rester dans l'eau et continuer à remonter le courant encore un peu, par sécurité. De toute façon, notre corps est dans un état de chaleur due à un effort et au froid extrême. C'est la sortie qui va être la plus difficile.

Tout cela est assez hypnotisant : le bruit de l'eau, le rythme régulier des gestes d'Angie, le noir de la nuit. Je finis par me perdre dans les méandres du silence, et mon esprit prend le dessus sur le rationnel. Je repense à tout ce que nous venons de vivre à New Shelter... Bon sang, cet Erwan, quel phénomène... Ce qui me fait le plus bizarre, en fait, c'est que je comprends pourquoi Angie a pu craquer pour lui. Il est grand, très bel homme, avec sa carrure d'étalon, ancien militaire qui entretient clairement son physique même dans ce monde apocalyptique... Ses cheveux noirs, sa petite barbe, et son assurance exacerbée, à la limite de l'arrogance. Un mâle, un vrai. Un alpha.

Sans même m'en rendre compte, j'ai rattrapé Angie. Ces pensées me font mal au cœur malgré moi. Comment aurais-je une chance, moi, après un tel mec ?... Mais Raphaël ! Ressaisis-toi ! Envisager une relation, un futur calme et paisible, avec elle, tu es malade ! Tu n'as aucune chance ! Et pour deux raisons : ce monde ne te le permet pas, mais surtout, elle ne voudra jamais de toi...

Je chasse toute pensée de ce genre lorsque je réalise qu'Angie bifurque sur le côté, puis sort tant bien que mal de l'eau. Je ne distingue pas très bien son visage, mais je comprends que quelque chose ne va pas, elle s'allonge sur la berge beaucoup trop rapidement... Non, elle s'effondre. Je me précipite auprès d'elle : elle est frigorifiée.

"T-t-uu-u tu v-v-v-vois, rrrrRaph, j'a-avais r-rai-aison... On... On a-a ré-éussi-i..."

Cela me brise le cœur, je ne peux pas faire grand-chose pour lui éviter une telle souffrance... mais elle risque la mort. Je ne peux pas la laisser comme cela. Je décide, sans me poser de question, de la porter, au moins sur quelques mètres, le temps de nous mettre à l'abri, ceci de manière tout à fait relative.    

Un grand arbre surplombant une zone buissonneuse nous offre un abri de fortune parfait. Je la dépose délicatement, puis je me mets derrière elle et l'enlace. Elle est gelée, pétrifiée par le froid. L'humidité de nos vêtements ne me permet pas de la réchauffer correctement. Je commence à paniquer : elle ne tremble plus. Elle est totalement inanimée. Je tente des frictions, je la serre le plus fort possible. Je lui écrase très certainement les côtes, mais je ne peux pas la laisser mourir. Pas comme ça, pas après tous ces si beaux efforts !

Mais la vérité, si triste, si froide, c'est que cela était tout simplement insensé. Ni elle, ni moi, n'aurions pu survivre à une telle épreuve... Je sens le froid s'emparer définitivement de moi, pénétrant la moindre parcelle de mon corps jusqu'aux os. Mais je m'accroche à Angie, je ne peux accepter sa mort.

 "Je ne vais pas te laisser partir comme ça ! Tu m'entends ?! Je tiens trop à toi pour ça ! Tu as été, tu es, et tu seras pour toujours, la plus belle personne qu'il m'ait été offert de rencontrer, la plus gentille fille, la plus magnifique des femmes de ce monde ! Je n'aurais même pas eu l'occasion de te dire à quel point je tiens à toi, à quel point tu es importante pour moi ! Tu n'as pas le droit de m'abandonner comme ça, tu m'entends ? Après tout ce que nous avons traversé, j'ai besoin de toi, moi. Ne m'abandonnes-pas, Angie ! Tu n'as pas le droit !!! Je t'aime, moi ! Ne pars pas !!!"

Je perds tout contrôle. Les vannes cèdent sous l'émotion, sous la colère. Je lui ai dit. Trop tard. Elle n'est qu'inertie et froideur. Elle ne reviendra pas. Elle ne sera jamais une prémium. Non. C'est terminé. C'est trop tard... 

Je ne peux réprimer les sanglots qui m'animent. Je la serre violemment contre moi, les yeux embués par les larmes. Je l'ai perdue. J'ai surestimé ses capacités et sa résistance au froid. Comment ai-je pu être aussi bête ?! Je sens le froid prendre le dessus. Je vais probablement prendre le même chemin qu'elle. Au moins, nous serons réunis, et nous pourrons construire notre monde, tous les deux, elle et moi, sans zombie, sans premium, sans catastrophe. Juste elle et moi. 

Mon corps s'engourdit, j'ai du mal à garder mon emprise sur le cadavre d'Angie. La vie a des façons si terribles de faire jouer le sort... Nous nous sommes fait capturer, et nous avons réussi à sortir de cette forteresse dirigée par l'homme de sa vie, qui n'est autre que son tortionnaire... La colère m'envahit... Non, la rage. Et pourtant, cela ne suffit pas pour insuffler de la vie à Angie, ni à me maintenir éveillé.

Je lâche peu à peu prise. Impuissant. Résigné. Elle qui m'a sauvé et maintenu en vie, je n'ai même pas été en mesure de lui rendre la pareille. Dans un ultime sanglot, je laisse tomber ma tête contre sa nuque, je ferme les yeux, et j'accueille la mort à bras ouverts.



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