27. Nuit de glace.

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Une terreur incontrôlable s'empare de moi. Le zombie a posé ses mains sur moi. Il tient ma gorge dans l'une, et mon visage dans l'autre, et je ne peux rien faire. Il approche son visage jusqu'à le coller au miens. Dans le brillant de ses yeux, je peux voir le reflet rouge écarlate de mes propres yeux laissant transparaître la panique qui a pris possession de moi.

Tout dans son attitude sonnait faux, ce qui ne le rendait que plus terrifiant. Je commence à me débattre, mais il fait preuve d'une force exceptionnelle. Il me tire vers lui, puis me pousse violemment contre le mur. Ma tête cogne, et je ne suis pas au mieux de ma forme avec tout ce que j'ai dû accomplir pendant le test de la cuve, alors je ne peux pas réagir dans l'instant. 

Je lève tout de même les yeux et, même à contre-jour, je réalise que toute trace de sourire à disparu de son visage. Il est là pour me tuer... Le mot tuer n'est pas exact, à vrai dire. Il se jette sur moi et tente de me mordre la joue. D'un coup de tête, je parviens à éviter sa morsure de justesse. Il s'écarte et semble très contrarié. Il pousse de plus en plus de râles et gargouillements, ce qui ne fait que renforcer l'état de panique dans lequel je me trouve. Tôt ou tard, il parviendra à me mordre. 

Je suis acculé au sol, alors je me laisse glisser sur le dos pour que mes jambes puissent le repousser. Cette stratégie fonctionne le temps de deux assauts, puis il comprend ce que je tente de faire et m'attrape par les pieds pour me retourner. Quelle erreur bête de ma part ! Maintenant, je suis tête contre le sol et totalement immobilisé car il vient tout juste de se mettre sur moi. Je ne peux anticiper aucun de ses mouvements, ni même avoir la moindre idée de ce qu'il est sur le point de faire.

Je découvre très vite la réponse lorsqu'il me mord la nuque. Une décharge fulgurante me parcourt de la tête aux pieds. Dans l'instant suivant, je ne sens plus rien tellement la douleur est intense, puis, c'est le retour à la réalité. Ma tête se met à tourner et je réalise avec une horreur indescriptible qu'il vient de m'arracher un morceau de chair alors que je l'entends mâcher et grogner. Putain ! Il est en train de me bouffer ! Ce... ce... truc m'a retiré un bout de chair, putain !!! 

Je perds tout sens de rationalité, je ne sais plus quoi faire, plus quoi penser. Je suis totalement paralysé. Tellement tétanisé que je ne réalise pas tout de suite que le zombie s'est relevé et semble totalement désorienté. Je me risque à me retourner, malgré la douleur, et le spectacle qui s'offre à moi est saisissant : le zombie se contorsionne et se tient la gorge et le ventre tour à tour. L'incompréhension et la douleur se lisent derrière ses traits monstrueux de bouffeur de viande. C'est ma chance ! Je tente de faire passer mes bras sous mes jambes, mais cette manœuvre s'avère beaucoup plus difficile que ne le laissent penser les films. J'ai beau être en bonne condition physique, ma nuque rend chaque mouvement ultra douloureux. 

Je réitère mon essai, et je persévère. Tant et si bien que je finis par réussir à passer mes mains devant moi. Le zombie comprend ce que je viens de faire et tente dans un accès de désespoir de me mordre à nouveau. Il est devenu beaucoup plus agité et agressif. Je ne saurais pas l'expliquer, un changement s'est opéré dans son attitude, il semble plus vouloir me faire mal plutôt que véritablement me dévorer. Je prends une grande inspiration et je tente de le déséquilibrer. Il est très agile et parvient à esquiver mes attaques. 

Notre danse macabre semble durer encore et encore. Il ouvre la marche, et je suis la cadence. Les allers, les retours. Un temps, deux temps, trois temps. Je me refuse à le tuer, cet être à l'apparence monstrueuse pourrait revenir à lui... Puis il accélère encore un peu plus le tempo et les mouvements se font plus resserrés. Le ballet se mue en une danse frénétique, tant et si bien que l'évidence me saute aux yeux : il est programmé pour me tuer. Je n'ai pas d'autre choix que m'échapper si je veux rester en vie...

Ou alors... Non. Je ne peux pas. Je ne peux pas. C'est... C'est un homme. Au plus profond. Il ne le sait pas. Mais moi je le sais. Je ne peux pas... Je n'ai jamais tué. Je ne veux pas devenir un meurtrier. A l'asile, je n'ai fait qu'assommer nos adversaires... mais là, il est question de lui ôter la vie...

Le zombie me ramène à la raison et me jette avec une violence inouïe contre le mur. Sa poigne s'est renforcée à mesure que son visage se tord de douleur. J'hésite, je panique, je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas le tuer... Et mon hésitation me coûte très cher : le zombie s'empare de ma tête et la projette de toutes ses forces contre le mur. Des étoiles, ou bien des taches blanches, apparaissent devant moi. Je ne peux plus rien distinguer...

Et pourtant, le zombie revient à la charge, je sens ses mains s'emparer de moi. Alors je me dégage, tant bien que mal, et je me relève. Ma vue retrouve une allure normale, alors je prends une grande inspiration, je bloque toute pensée, je le pousse contre le mur en utilisant tout mon poids, puis je lui balaie les jambes d'un coup de pied. Le zombie tombe à terre mais continue à s'agiter. Alors je lui donne un autre coup de pied. Dans le ventre, d'abord, dans la tête ensuite. Mes coups renforcent sa fureur. Sans réfléchir, je bloque sa poitrine contre le mur avec mon genou. Il tente de me mordre mais échoue. J'attrape sa tête, puis, je commence à la faire tourner, mais il résiste, tellement bien qu'il parvient à me mordre le genou. Sous le coup de la douleur, mais également par réflexe, ma jambe remonte vers sa tête et le zombie se retrouve assommé. Je profite de ce moment de désarrois pour lui disloquer la tête du reste du corps.

L'ultime gargarisme qui émane des profondeurs de sa gorge, dans un bruit sourd, me glace. Toute vie le quitte et il tombe, dans un affaissement lent et lourd, au sol, inerte. Non. Mort. C'est le mot exact. Je viens de le tuer.

J'ai du mal à respirer. D'une part, parce que je suis essoufflé... mais surtout, parce que je suis sous le choc de ce que je viens de faire. Je viens de tuer un être vivant. Aussi tordu que ce soit. Il avait été un homme, avant, tout comme moi. Et moi, j'étais un zombie, comme lui, avant. L'état de détresse dans lequel je me trouvais avant l'irruption du zombie dans ma cellule n'était rien à côté de ce que je ressens actuellement...

Je suis seul, dans le froid glacial, et je n'ai pas eu d'autre choix que de tuer ce zombie pour garantir ma propre survie. Effondré. Je suis effondré. Quand toute cette putain de mascarade va-t-elle s'arrêter ?! Alors, c'est ça, ma nouvelle vie ? Me faire dégommer, ne pas savoir qui je suis, tuer des innocents ? Au nom de quoi ?! Hein ? Au nom de quoi ?!

Je me laisse tomber et je pleure. Non... j'explose. Plus aucune retenue. Maintenant je sais que je vais être confronté à l'horreur constamment. Plus aucune alternative heureuse n'est possible. Le message était clair : le combat, la mort, voilà ce qui m'attendait. Je suis épuisé de tout cela, mais je suis prisonnier. 

C'est dans un état de léthargie que je passe le reste de la nuit, à bout de forces, meurtri, mais il m'est impossible de fermer l'œil. Des heures ont passé, et c'est paralysé par le froid et la douleur, tant physique que moral, que je suis tiré de mon état second par le bruit de la porte, plus haut. Cette fois-ci, aucun doute, il s'agit bel et bien d'un humain. Je ne tente même pas de feindre quoique ce soit, je le laisse approcher. 

L'homme trouve la grille ouverte, le zombie mort et moi, étendu à côté. C'est avec un air des plus satisfaits qu'il me dit, sans préambule : "bravo l'étranger, t'as remporté le droit de rencontrer le grand chef..."

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