57. ... et réactions.

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Le temps venait définitivement de s'arrêter. Il n'y aurait plus d'après. C'était terminé.

La scène repasse au ralenti, devant mes yeux : Angie tient un pistolet, le pointe vers Erwan, et tire, au niveau du bas ventre. Une seule et unique balle, car Erwan lève à son tour une arme, et tire une balle, également. Angie s'effondre.

Pendant ce temps, les modifiés se jettent sur Dan, que Gabriel et les premiums tentent de protéger tant bien que mal. En une fraction de seconde, Dan profite de la cohue provoquée par cet affrontement, et ramasse l'arme qu'Angie tenait un peu plus tôt, et tire dans la jambe, puis dans le bras d'Erwan.

La dernière balle lui sera fatale... mais pas assez rapide pour éviter que les modifiés n'attaquent Daniel.

Quelques secondes. C'est tout ce qu'il aura fallu pour qu'il se fasse réduire en charpie. Je ne peux plus bouger. Mon corps ne réagit plus du tout. Les deux êtres qui me sont le plus cher sont là, étendus au sol, devant moi. Gabriel hurle, je ne comprends pas ce qu'il dit, trop abasourdi par le choc.

"... Respire plus !!! RAPH !!! DANIEL EST ENCORE EN VIE, ET ANGIE NE RESPIRE PLUS !!!"

Mon cerveau se remet en fonctionnement, et mon bras se met à me lancer affreusement. Et pourtant, les larmes qui coulent n'ont rien à voir avec cette blessure. Je me rapproche d'eux, et Angie est là, inanimée. Tout près d'elle, Dan, est encore conscient, mais à l'agonie. Gabriel procède à un massage cardiaque sur Angelica. Je m'assure qu'il le fait bien, ce qui est le cas. Cela m'arrange, car je ne suis pas en état physique d'en réaliser un, mon muscle blessé rend l'utilisation de mon bras impossible.

Daniel est dans un piteux état. Son regard balaie le ciel de droite à gauche. Lorsque ses yeux se posent sur moi, il s'agite. Alors je me précipite auprès de lui, et mon corps fait le reste.

"Hé, hé. Doucement ! Doucement, mon bonhomme.

- Je dois... te dire... mon plan... Raph.

- Quoi ? Quel plan ?

- La horde... Je... lui ai ordonné... d'infecter tous les... habitants... Mais pas... de les ... tuer... Comme ça, New... Shelter sera... entièrement peuplée de... pré... de... premiums !

- Tu es un putain de génie !!! Tu le sais ça ?!

- Ouais... Mais ça fait... du bien de... te l'entendre... dire !"

Nous rions malgré nos larmes. Mon petit homme, mon fils de substitution, je suis tellement fier de lui, de son courage, de sa bravoure, et surtout, de sa vivacité d'esprit ! Je hurle aux premiums qu'on lui prodigue des soins d'urgence, mais personne ne bouge. A côté, Gabriel est toujours affairé avec Angie.

"Vous devez refermer... les portes. Il faut... qu'aucun infecté... ne quitte New Shelter... Raph... Tu sais, Jessie, eh bien... il a la même optimisation que moi. Vous aurez... besoin de... de lui. Gab... GAB ! Il... Il faudra lui faire... passer le... test... de la cuve... Il est votre... meilleure chance ! Peine à formuler Dan.

- Non ! Non, non, non ! Tu ne vas pas t'en tirer comme ça, Dan. Tu vas te battre ! On est des premiums, notre système nous permet une plus grande résistance, et une meilleure régénération ! Alors tu vas te battre, et Angie va se battre, et vous allez vous en sortir tous les deux !!! Tu m'entends ?!! Tu n'as pas le choix ! TU DOIS T'EN SORTIR ! Je perds le contrôle de mes émotions.

- Tu as toujours... été d'un piètre... réconfort... tu le... sais, ça ?"

Nous rions à nouveau malgré l'urgence de la situation, d'un rire plus nerveux et douloureux qu'autre chose.

"Raph, vous devez... vous devez condamner New... Shelter, puis surveiller l'éveil... des premiums.

- Ne t'inquiète pas pour ça, on va gérer comme des chefs, le temps que tu te remettes sur pieds.

- J... J'ai peur, Raph !!! Je... je ne veux... pas mourir !!!"

Il ne peut rien ajouter de plus. Des sanglots incontrôlés animent son corps d'adolescent. Le sang n'en finit pas de couler. Il est pâle. Aucune réponse ne me vient à l'esprit. Je ne peux pas lui dire : mais tu ne vas pas mourir ! Je ne peux pas lui mentir, pas à lui. Personne ne pourra le sauver, son état est beaucoup trop critique. Alors je me retiens de toutes mes forces d'exploser en sanglots, et je me rapproche un peu plus de lui.

Je me positionne juste derrière sa tête et le tire sur mes genoux. Il pousse un cri de douleur qui nous déchire le cœur, mais garde son sourire, malgré tout. Je le sers, lui caresse les cheveux, et lui dépose des baisers, comme n'importe quel parent ferait pour rassurer son enfant.

"R... rrr... rrra...Raph...aël ?

- Ou... oui, bo... bonhomme ?

- Diii... dis, à... Angie... Que je... que je... vous... aime..."

Il me fixe du regard, incapable de formuler quoi que ce soit d'autre. Il agonise. Son sourire, peu à peu, se mue en une grimace de douleur. N'importe quel humain non infecté serait déjà mort, mais sa condition de premium le maintient en vie, et fait durer cette l'agonie. J'ai du sang partout, et Gabriel renonce à continuer le massage.

Je peux lire dans son regard qu'il souffre le martyr. Il n'est plus en état de parler, mais je déchiffre parfaitement ce que ses yeux me disent, et cela me déchire au plus profond de moi. Je hoche la tête pour lui faire comprendre que j'ai compris, puis il lève péniblement son pouce pour me dire que c'est également ok pour lui.

Alors je prends la décision la plus terrible de toute ma vie : je me penche au-dessus de Dan, je lui murmure à l'oreille que je l'aime aussi, et que je suis désolé. Son corps est pris de convulsions, des bruits de sang sortent de sa bouche. Il tente de dire quelque chose : "m... m... mgh.... m... rci." Je ressers la pression et à mesure que les tremblements diminuent dans son corps mutilé, le mien se met à se secouer de plus en plus violemment.

Il ne bouge plus. Ça y est, c'est terminé. Pour la deuxième fois de ma vie, je perds la femme que j'aime, et l'enfant que je ne verrai jamais grandir. Dans cet ultime acte de soulagement, je ne sais pas s'il m'a réellement remercié, ou si cela est le fruit de mon imagination.

Je dépose la tête de Daniel au sol, et je me rends compte que je perds les pédales : devant mes yeux, le corps d'Angelica se soulève, puis s'abaisse. Mais cela n'est pas possible, puisqu'elle est morte. Je m'approche malgré moi, et je vois que ses yeux sont ouverts. Je pleure de plus belle, je me frotte les yeux, et elle est là, consciente, mais dans un état grave. Elle me sourit, nous demande de l'aide, puis retombe dans l'inconscience.

Nous vérifions qu'elle respire toujours... Oui ! J'ordonne aux premiums de prendre un véhicule et de ramener Angie au village. Je m'assure de la mort d'Erwan et je découvre que la dernière balle de Daniel lui a totalement défiguré le visage. Il a dû mourir en souffrant, et en sachant que c'en était fini pour lui.

Je jette un ultime regard à Daniel, puis, à bout de forces tant physiques que mentales, je sombre à mon tour.

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