13. De l'autre côté.

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Daniel me fixe du regard, les yeux toujours écarlates. Il faut le voir pour le croire, ses yeux sont d'un rouge si vif et si intense que l'on croirait presque que cette nuance de rouge n'existait pas avant tout cela. Je réalise trop tard que l'intelligent esquiverait mon coup après avoir analysé ma stratégie que l'on pourrait qualifier de simple et archaïque. Il me contourne à la vitesse de l'éclair, je n'ai pas le temps de me retourner qu'il s'agrippe à moi en me sautant dessus, m'attrape par les épaules et me mord violemment le muscle. La douleur est fulgurante, et son emprise trop forte. Je ne peux pas m'en défaire. Je me retiens de hurler pour ne pas alerter le reste du bâtiment, alors les larmes coulent. Puis les mâchoires se détendent : Daniel venait de donner un coup de toutes ses forces, ce qui fut suffisant pour faire changer la donne. 

Je me retourne et je l'assomme, ainsi Dan peut continuer à exercer son espèce de contrôle sur les deux autres. Je leur donne un coup également et ils s'effondrent. Essoufflés, nous nous regardons pendant plusieurs secondes qui semblent durer une éternité. La douleur à l'épaule me ramène à la raison : ça me lance, je sens les battements de mon cœur pomper le sang qui finit sa course dans mon t-shirt. 

"Il va falloir stopper le sang avant que tu n'enfiles la veste ou ça paraîtra suspect."

Le pragmatisme de Dan m'étonne, je ne sais pas quoi répondre car mes pensées sont aux hypothèses actuellement... Après tout, nous sommes redevenus humains, les zombies ne cherchent pas à nous manger... Mais... Et si au bout d'un certain temps cela se produisait quand-même ? Et si j'étais condamné à redevenir zombie ? Un accès de panique s'empare de moi, alors Dan me prend la main, et dit :

"On doit te soigner, et on n'a pas le temps, dépêchons-nous.

- Dan... la... la morsure ?

- Je pense que tu ne crains rien. Mais je n'en suis pas sûr. Attends-moi là."

Je le regarde s'éloigner en courant, il ne produit pas un son. Ce garçon plein de mystères m'intrigue. Une fois dehors, c'est sûr, je le bombarderai de questions !... Sa phrase, et surtout son geste, me rassurent. Aussi simple cela fut-il, me prendre la main, le contact de la sienne, m'a instantanément calmé. Il revient avec des compresses, et des pansements. Nous appliquons tout cela de manière un peu gauche, puis nous nous remettons en route, la nuit se faisant de plus en plus ressentir. 

Nous arrivons à l'étape la plus délicate : traverser le terrain extérieur sans avoir l'air suspect. Dan a décidément tout prévu : il me tend une casquette et en visse une autre sur sa tête. Nous marchons doucement. La plupart des gardes, pour le peu que l'on en voit, sont des zombies. Je suis à la fois émerveillé et horrifié de constater que Madder a réussi par je ne sais quel tour de force à apprivoiser des mordus pour en faire ses chiens de garde ! 

De nombreux patients sont encore dehors, et à en juger la scène, ils auront très certainement le droit de passer la nuit ici à faire littéralement ce qu'ils veulent. Un terrain herbeux faisant office de terrain de foot ou bien d'un autre sport se dresse devant nous, et tout autour se trouvent des arbres, j'imagine qu'une épaisse clôture nous barrera la route ensuite.  Le terrain est surélevé par rapport au reste du sol extérieur. Nous passons par le côté, et un patient nous suit du regard. 

Je n'en reviens pas à quel point il ne paraît pas malade, mais il nous fixe, simplement, nous indique une direction du doigt, puis le ramène devant sa bouche, dans un signe qui veut dire "chut", sans aucun bruit. Au loin, un zombie se met en route vers nous, mais nous ne pouvons pas nous mettre à courir ou bien notre couverture sera totalement fichue. Comme si les patients étaient de mèche avec nous, l'un d'entre eux se jette sur un autre, puis un troisième se met à hurler. Cela attire l'attention du zombie qui se dirige vers eux, et commence à mordre l'un des patients. 

Il ne nous en faut pas plus pour nous décider à accélérer le pas. Nous disparaissons dans l'épaisse partie boisée, en tâchant de suivre la direction indiquée par le patient. Nous nous mettons ensuite à courir, il commence à faire sérieusement sombre. Comme on s'y attendait, une clôture se dresse devant nous, mais elle n'est pas si imposante que ça, juste suffisante pour maintenir des hommes dans une propriété. Elle possède bien évidemment les caractéristiques de celle d'une prison, ainsi nous ne pouvons pas l'escalader...

Cependant, Dan trébuche à quelques mètres de moi : un morceau a été déterré et cela permet de ramper en dessous, non sans y laisser quelques morceaux de son propre dos, si vous voulez mon avis ! 

  Je n'ose pas le dire à Dan, mais je trouve cela beaucoup trop simple. C'est vrai, Alastair nous a montré à quel point il était fou et déterminé. Il a certes commis une erreur en nous sous-estimant, mais cela me paraît hautement improbable que l'on puisse s'échapper aussi facilement. Et pourtant, nous sommes là.  

"Allez, tiens-le ! Je passe en premier !"

Et il s'exécute aussitôt. Ce sera donc mon dos qui y en paiera le prix fort... J'essaie de maintenir du mieux que je peux le grillage et je me faufile également. Je m'en tire avec de sérieuses griffures à la nuque, mais la veste a bien fait son travail de protection. Nous voilà donc dehors, ça y est...

"En sécurité...

- Oui ! Nous allons pouvoir avoir une vraie conversation. 

- J'y compte bien, car je n'ai pas compris la moitié de ce que j'ai vécu dans cet asile !... Mais ça devra attendre encore un peu, on doit se trouver un abri, et je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où nous nous trouvons.

- Moi non plus... Regarde, il y a un chemin de terre, nous avons qu'à le longer, non ?

- Oui, ça me semble être un bon début !"

Nous avançons tranquillement, le chemin est en contrebas d'une petite colline. Quelques flocons commencent à tomber, mais rien de très violent. L'hiver va être rude. Je vois Dan grelotter, j'ai froid moi-même, mais je lui propose ma veste. Les péripéties passées et mon exercice à plat ventre m'ont un peu réchauffé. 

Nous n'avions pas remarqué le petit bâtiment sur notre gauche car il est construit au milieu des arbres. Cependant, celui qui se dresse devant nous, nous ne pouvons pas le rater : il est immense ! Très éclairé, et beaucoup plus récent que l'asile. Je tourne la tête, et j'aperçois le poste de surveillance, avec un garde devant des moniteurs. Il ne nous a pas vu, mais je peux distinguer le reflet rouge dans son iris caractéristique des zombies redevenus humains. Je fais signe à Daniel de se baisser, et je le rejoins. Nous nous planquons comme nous le pouvons.

"Je comprends pas, Raphaël, qu'est-ce que c'est ? Me demande-t-il en murmurant.

-  Ça ?Je pense que c'est le véritable laboratoire d'Alastair Madder."

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