38. Seul au monde.

67 11 14
                                    

C'en était donc terminé de moi. Après cela, que puis-je faire de plus ? Le mal est fait. On ne veut plus de moi. Je suis le monstre. J'aimerais tellement leur dire, leur raconter, tout ce qu'il s'est réellement passé, qui je suis. Mais ils ne veulent rien entendre. On ne me fait pas confiance. Angie ne veut tout simplement plus de moi. Gabriel a eu la confirmation qu'il redoutait tant. Je n'ose même pas imaginer ce que Daniel va penser lorsqu'il saura. Et le village de premiums tout entier, que vont-ils dire ? Ils viennent tout juste d'essuyer une attaque sans précédent, qui aurait pu marquer la fin de tous les premiums.

Ma décision est prise : dès que Gabriel revient, je lui demanderai de m'éliminer. Au moins, je ne ferai plus de mal à personne. Je n'apporte que du négatif dans la vie des gens. Tout ce que j'avais, n'est plus. C'est terminé...

Je suis tiré de ces pensées macabres par la porte qui s'ouvre. Quel soulagement de voir Daniel ! Puis je me souviens que je l'ai déçu, lui aussi. Alors je retombe dans la morosité. Je n'ai pas envie de l'entendre dire, à son tour, que je l'ai déçu, que je suis un monstre...

"Salut...

- Salut.

- Alors, on veut détruire l'humanité ? Tente-t-il.

- Il semblerait..."

Il marque un temps de pause, et me fixe intensément. Je me sens inconfortablement jugé, scruté, sondé. Ces quelques instants me paraissent une horrible éternité.

"Allez, vas-y, crache le morceau, Daniel. Je sais ce que tu penses.

- Ah oui ? Et qu'est-ce que je pense, au juste ?

- Que je suis un monstre, que ta vie serait mieux sans moi.

- Raph, qu'est-ce que tu peux être bête, des fois ! Sans toi, je serais probablement mort sur une table de dissection dans le laboratoire de Madder ! Tu m'as sauvé...

- Non, Dan, toi, tu m'as sauvé.

- Arrête la modestie, Raph. Ok, on s'est peut être sauvé mutuellement, mais une chose est sûre, sans toi, je ne serais pas là...

- Cela n'enlève rien au fait que tout ceci est de ma faute...

- Oui. Ok. C'est effectivement toi le patient zéro. Mais Raph, ça ne fait pas de toi le responsable. Et quand bien même, c'est fait. C'est comme ça. Je ne peux pas croire qu'un homme aussi gentil que toi ait pu faire une telle chose de manière volontaire ! Était-ce volontaire ?

- Non... Pas vraiment."

Dan me fixe toujours, mais son regard a changé. Je peux y voir de la complicité. De l'espièglerie, même. Ma curiosité est piquée à vif lorsqu'il plonge sa main dans son caleçon, puis ressort la clé USB en la secouant entre ses doigts, un énorme sourire aux lèvres.

Je prends conscience que ses traits sont affreusement marqués. Il n'a pas encore récupéré complètement de son effort surhumain, c'est évident. Mais il se tient là, et cette vision m'apaise un peu.

"J'ai une bonne nouvelle pour toi, Raph...

- Allez ! Ne me laisse pas comme ça ! Dis-moi !!!

- Lorsque vous êtes partis pour New Shelter, j'ai pu lire une partie des fichiers de Madder, et j'en ai appris beaucoup sur toi. Je sais ce que vous avez fait, dans ce labo. Je savais que ce Madder était une pourriture, mais je ne pensais pas à ce point..."

Je n'arrive pas à croire ce qu'il me dit. Je ne contrôle pas mes larmes. Cela est devenu une habitude. Il s'approche de moi et me sert fort contre lui. Les dernières digues s'effondrent, et je pleure comme un enfant, sans aucune retenue. Ce gosse nous sauvera tous. Il a ce don, ce pouvoir de sauver toutes les situations.

"Tu vas devoir t'expliquer auprès des autres malgré tout.

- Oui.

- Mais ils doivent voir la clé.

- Gabriel ne te l'a pas demandée ?

- Oh si ! Je lui ai dit de venir me caresser la nouille s'il comptait mettre la main dessus !!!

- Ce n'est pas vrai ??!!

- Vrai de vrai ! Je me doutais bien que ce moment finirait par arriver, et avec tout ce que j'ai lu, je savais que tu aurais besoin d'aide. Cette clé, c'est une monnaie d'échange !

- Mais si tu n'avais pas lu ces fichiers...

- J'aurais fait la même chose, Raph. Soyons honnêtes, tu ne peux pas être un homme aussi bon et avoir été une pourriture par le passé. Les souvenirs ne définissent pas nos actes. Ils aident à nous forger, mais ne nous définissent pas. Ils finiront par le comprendre !... Allez, Raph, courage ! Je dois y retourner, je m'occupe d'eux. Prépare-toi à tout leur expliquer, car nous allons devoir faire vite, à l'extérieur, le monde n'attend pas !

- Dan ?... Merci pour tout.

- Les amis sont là pour ça !"

Comment ai-je pu douter un seul instant de ce bonhomme ? Si j'avais encore besoin d'une preuve irréfutable qu'il est mon ami, je venais de l'avoir. Mais depuis ma rencontre avec lui, il ne m'a jamais fait faux bond. Il aurait pourtant pu. Et le pire, dans tout ça, c'est qu'en y regardant de plus près, nous n'avons pas passé tant de temps que cela ensemble. Mais ce que nous avons partagé fut si énorme.

Je ne m'attends pas à ce qu'Angelica me pardonne un jour pour tout ce que j'ai provoqué, mais au moins, je ne suis pas seul. Avec Daniel à mes côtés, j'ai encore un espoir d'aller de l'avant, peut-être déjouer les plans de Madder, et, qui sait, peut-être même retrouver ma famille, de l'autre côté de la frontière.

Je vais rester un bon moment seul et attaché : en effet, les fichiers que nous avons copiés sur la clé sont volumineux et bien fournis. Le temps d'éplucher toutes ces informations va être conséquent. Je dois m'armer de patience... Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un petit rire nerveux. Bon sang, quand j'y pense, je n'ai jamais autant pleuré que ces dernières semaines !

C'est amusant à quel point les œuvres de fiction nous dépeignent des héros forts, à l'épreuve des balles, alors qu'en fait, l'humain n'est pas fait pour supporter tout cela. La réaction physiologique, et surtout automatique, reste les larmes. Mais quand-même, c'en est presque humiliant !... Il faut dire qu'avec tout ce que la vie vient de m'envoyer en pleine face, il y a de quoi pleurer.

On ne peut pas dire que je me sente soulagé car la situation est beaucoup trop grave pour cela, mais l'apparition de Dan a clairement suffi à m'apaiser très légèrement. Je suis affamé et surtout épuisé par tout l'effort mental qu'a nécessité le retour des souvenirs, alors je commence à fermer les yeux pour tenter de trouver un peu de repos dans cette action, tant et si bien qu'en moins de trente secondes, je m'endors comme un bébé.

Premium.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant