Janvier 1939
- Bill ? Veux-tu bien aller me faire quelques courses mon chéri ?
- Bien sûr ! Est-ce urgent ?
- Non, bien sûr que non. Prends ton temps !
- Je serais bientôt de retour." Sourit le jeune homme, avant de sortir à la hâte de la petite maisonnette bien gardée, un sac en toile de lin à la main.
- Si tu savais comme tes parents auraient été fiers de toi, chéri. " murmura la vieille femme pour elle-même, avant de se pencher une nouvelle fois sur ses activités.
Nous quittions tout juste les fêtes hivernales, et Paris se remettait doucement de l'accueil de la nouvelle année. Les rues étaient calmes, en ce milieu d'hiver encore glacial - particulièrement cette année -, et on n'entendait pas un seul cri d'enfant au dehors.
Bill avançait à pas précipités, ses pieds fins marquant la neige d'une empreinte longiligne et régulière. Emmitouflé dans un gros pardessus, accompagné d'un fin châle qu'il avait noué autour de son cou fragile en sortant, le jeune homme traversait les rues désertes dans lesquelles le moindre mouvement paraissait aussi sonore qu'un gros klaxon, résonnant dans l'immensité de la tombée de la nuit.
Là, sur la droite, une femme qui avait de peu dépassé la trentaine se penchait par la fenêtre afin de fermer ses persiennes. Le soir tombait tôt, en ces temps-là, et il n'était pas bon de rester trop tard à l'extérieur. Bill lui sourit, et accéléra la cadence, faisant crisser de plus belle ses pas dans la neige. Il fallait qu'il se presse, l'épicerie du coin de la rue fermait plus tôt, en hiver. Comme si cette saison, redoutée de tous, les empêchait de vivre pleinement.
Il fit sa petite course, saluant au passage Madame Blandier qui fermait son petit bar à tabac, devant lequel il passait quasiment tous les jours, ou au moins une fois toutes les semaines. Avec l'argent qu'il avait, il avait pu s'acheter une grosse miche de pain qui leur tiendrait deux semaines, et quelques fruits et légumes blafards, qui ne donnaient pas envie. La Grande Guerre était finie depuis maintenant vingt-et-un ans, mais la pénurie de nourriture était toujours bel et bien là, ancrée dans le pays comme un tatouage râté.
Mais Bill ne se plaignait pas. Il avait de quoi manger, de quoi boire, et un petit travail d'apprenti qui les faisait vivre, lui et sa grand-mère. En effet, le père du jeune homme avait été appelé au front en 1914, et y avait laissé sa vie. Il avait vécu avec sa mère durant les deux premières années de son existence, avant que celle-ci ne soit emportée par la maladie, le stress, et toutes les lourdes choses qui reposaient sur ses petites épaules de jeune mère. Sa grand-mère l'avait recueilli, et Bill vivait à présent dans la petite baraque mal isolée de son aînée, dans laquelle on chauffait au bois et où l'on n'avait presque pas le sou pour l'électricité. Cette famille était une de celles que la Grande Guerre avait démolie, ravagée, mais qui subsistait quand même malgré tout.
En passant devant le kiosque, dans lequel le vendeur allait lui aussi plier bagage, il acheta, avec la monnaie qui lui restait, un des derniers journaux encore disponibles. Bill se fichait bien de l'éditeur, tant qu'il pouvait avoir régulièrement des nouvelles sur le pays. Puis de toute façon, il savait tout juste lire, il n'avait pas besoin de ces textes trop compliqués. Le minimum lui suffisait.
Il entendit les cloches sonner 18h, et se hâta de se diriger vers le petit garage dans lequel il nettoyait et remettait en état les autos délabrées. Son patron, de quelques années à peine son aîné - le jeune homme avait 17 ans, tandis que son supérieur, tout juste majeur, en avait 21 -, l'avait pris sous son aile, et pour cause : Bill travaillait dans cette petite entreprise depuis maintenant un an, et il satisfaisait par son travail.
Seulement, ce soir, à cette heure-ci, comme beaucoup d'autres soirs à la même heure, ça n'étaient plus les vieilles autos aux carrosseries abimées qui l'intéressaient. Le jeune homme venait voir Tom, son patron. Tous deux entretenaient depuis un petit bout de temps une relation ignorée de tous, rythmée par une passion ardente et une puissante envie d'aimer.
Bill et Tom s'aimaient. Ils s'étaient aimés dès le premier regard, dès la première étincelle qui s'était allumée dans leurs yeux lorsqu'ils s'étaient rencontrés pour la toute première fois. Ils entretenaient leur amour avec fureur et désir, avec une envie bien plus que prononcée de pouvoir le vivre pleinement. Et ils avaient l'air vraiment heureux. La seule ombre venant s'ajouter au tableau était la loi, le gouvernement, et toutes ces listes de prescriptions, d'interdictions et d'ordres qui reposaient sur des principes factices et erronés. La loi ne permettait pas ce genre de relations, et ne les tolérait pas. Elle les punissait, même. Bill et Tom se trouvaient alors constamment dans une position de criminels, alors qu'ils ne faisaient rien d'autre que s'aimer.
Même si la loi du pays était contre eux, les deux jeunes avaient voulu prendre ce risque de commencer cette relation, sachant qu'elle aurait des répercussions sur leurs vies futures, et que cette décision allait rendre leur destin plus dangereux. Tous deux se rassuraient, en se disant que le gouvernement ne s'intéresserait pas à eux tant qu'ils restaient discrets. S'ils ne se montraient pas, tout irait pour le mieux.
Frigorifié, Bill toqua légèrement à la petite porte du fond de l'atelier du garage, dans laquelle ils se voyaient secrètement depuis le début de leur relation. Le battant s'entrouvrit, laissant l'oeil de l'homme en face scruter les alentours, avant de faire entrer le jeune homme, scrupuleusement. A peine la porte fut-elle refermée que Bill se jeta sur les lèvres de son amant.
Les mains trouvèrent leur place presque instinctivement, alors que les langues se liaient et se déliaient en un tourbillon amoureux et fougueux. Tom se laissa aller à passer ses mains dans les courts cheveux bruns de Bill, alors que ce dernier plantait presque ses ongles à l'arrière de son crâne, tellement le désir qui l'envahissait semblait puissant. Après ces quelques instants de retrouvailles, ils se séparèrent, la bouche rougie par leur échange.
- Tu as lu le journal d'aujourd'hui ?" s'enquit Bill, dénichant le tas de papier plié dans la poche de son manteau, le tendant à Tom.
- Je l'ai lu rapidement, oui.
- Les tensions autour de nous s'accroissent. Ils disent qu'Hitler veut passer à l'offensive très bientôt. Qu'est-ce que ça veut dire pour nous, tout ça ?
- Pour l'instant, on n'en est pas encore là." répliqua Tom, tout de même anxieux, "De là où il est, il ne peut rien contre nous. Et s'il le faut, on se cachera, jusqu'à ce qu'ils repartent. Ce sera l'affaire de quelques semaines. Hitler n'est pas assez puissant pour envahir le pays.
Bill buvait les paroles de Tom, aveuglé par l'amour. L'autre brun, lui, s'en voulait déjà de lui avoir menti pour l'apaiser, il n'aimait pas cacher la vérité à son amant.
Pourtant, tout allait tellement mieux dans leur petit monde utopiste, où tout allait dans leur sens.
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Bonjour,
Je crois que nous vous devons quelques explications. Cela fait maintenant un bon moment que nous ne postons pas régulièrement, que les updates sont espacés de plusieurs mois, parfois nous ne répondons même plus à vos si beaux commentaires...Nous en sommes désolées. Nous ne voulions pas nous arrêter après tout le chemin parcouru, et décidons donc de vous poster d'une traite l'histoire dont nous sommes le plus fières : Je t'attendrai.
Des semaines et des semaines d'écriture, de réécriture et de relecture, nous nous sommes tant attachées à cette histoire que nous ne pouvions pas la laisser dans l'oubli. Nous espérons que vous apprécierez la lire autant que nous avons aimé l'écrire.
Bonne lecture à tous, merci d'avance pour vos retours, et merci tout court d'avoir été là et de l'être toujours, même si nous sommes vraiment deux auteures indignes de l'être...
On vous embrasse bien fort ♥
Sora&Clem', vos Kartoffeln préférées.
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Je t'attendrai.
RomanceSeconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine.