Tom était allongé dans le lit froid, tous les muscles de son dos se détendant à ce contact si doux mais aussi si violent. Il tremblait, secoué par de douloureux souvenirs, la tête vide de nuages, maintenant remplie de doutes. Il ne pouvait dormir sereinement en sachant Bill en danger. Ses joues étaient encore mouillées par la désillusion transcendante qu'il avait ressentie en poussant cette satanée porte. Il aurait tant aimé voir apparaître son androgyne comme il était prévu dans sa tête, qu'il lui saute au cou comme il l'avait imaginé, et qu'ils s'embrassent comme il l'aurait espéré. Seulement il y a bien longtemps que les choses n'arrivaient plus comme prévu mais malgré le prévu. Les draps sentaient la nouvelle odeur de Bill, un peu plus Homme que lorsqu'il l'avait quitté, mais toujours aussi propre et sucrée. Le soldat plongeait son visage écorché dans le lit et pleurait le tombeau de leur amour, secoué par de violents spasmes. Il se sentait seul au monde, se demandant alors comment il avait pu exister avant Bill. Il n'existait plus sans Bill, il se contentait de vivre. La vie, suite de coïncidences scientifiques plus ou moins complexes, amas de cellule, vulgaire automatisme. Il avait le sentiment d'être retourné sur le front, mais dans une toute autre bataille. Le jeune homme entendait d'ailleurs toujours le son terrible des obus, torturé par d'horribles visions. Il revoyait les cadavres des hommes lui faire face dans sa petite chambre, alors qu'il était recroquevillé comme un enfant, tentant de se construire une armure de couvertures face à la menace qu'il s'imaginait. Il se sentait glisser vers la folie, alors qu'il s'était totalement reposé sur Bill. Mais si son Trésor n'était pas là, comment allait-il faire pour retrouver une vie saine ? Le brun avait peur, hanté par la guerre qui lui avait volé quatre années de vie et maintenant la chose la plus précieuse qu'il possédait. Il allait devenir dingue. Il sentait la chaleur mordante et lourde de l'Afrique sur ses tempes. Il entendait encore les chants des soldats qu'on envoyait à l'abattoir. Insouciants soldats. Stupides soldats. Soldats asservis et pions d'une bataille qui n'est pas la leur.
Tom avait retrouvé dans le salon nu de Bill quelques fleurs mortes étendues sur le sol, dames en deuil de leur propriétaire. Il serait alors ses jonquilles fatiguées dans sa main, qu'il n'avait osé poser pour rien au monde. Il se contentait de les observer en oubliant qu'elles auraient rendu son amoureux si heureux. Il ne pouvait s'empêcher de se trouver ridicule, il était si romantique parfois. Même après avoir vécu l'enfer il arrivait à avoir ce genre d'attentions pour son homme. Il l'aimait tellement qu'un simple regard vers ces fleurs le faisait plus souffrir que milles autres fronts crasseux. Il se sentait minable, étendu là, sans aucune raison de se lever pour retrouver du travail. Puis cette jambe qui le rendait fou de douleur. Il avait été obligé de se trouver une béquille, pour se déplacer correctement d'une maison à une autre. Une semaine que Tom était revenu et il ne cessait de voyager dans la ridicule maison de Bill, ses mains glissant sur le papier peint décollé et attrapant tout ce qui lui semblait de la main de son ange. Il n'avait plus que cette obsession, avec celle de la guerre, qui le tiraillait. Il avait vu son colonel dans sa cuisine. Son monde tournait autour de cette violence sans nom qu'il avait subi, il se réveillait en sueur en pleine nuit, sentant cette infâme souffrance qui avait transpercé son mollet pour la énième fois. Il se souvenait de la sensation avec une telle précision que s'en était hallucinant.
Le jeune homme, une fois, en se rendant chez son amant, s'était aperçu que des croquis de compositions florales étaient éparpillés sur le sol. Il en avait ramassés certains, reconnaissant le tracé fin de l'amour de sa vie. Il les avait caressés du regard et était tombé sur un dessin bien plus tendre que les autres. Il était presque certain que Bill avait voulu le dessiner, bien qu'il manque beaucoup de détails. Son visage s'était presque effacé de sa mémoire. Cette révélation avait bouleversé l'ancien soldat qui ne cessait d'y sentir une profonde peine. Ces souvenirs d'une vie qu'il avait tant chérie. Il voulait retourner en arrière, prendre son trésor dans ses bras et essuyer de sa main les larmes sur ses joues. Il aimait tant baiser ses joues et frotter son nez contre le siens. Il aimait tant le sourire malicieux de son amant lorsqu'ils plaisantaient tous les deux. Il se rappelait les après-midis qu'ils passaient dans le parc où s'amusaient les enfants, cachés derrière un buisson, Bill la tête contre ses genoux, alors qu'il fumait ou lisait le journal. Son brun lui racontait des tas d'histoires avec les mains, les yeux plissés et sa voix qui déblatérait des banalités mais que chacune des mimiques de son homme rendait incroyables. Il priait pour que ce Dieu ingrat ne lui reprenne pas l'ange qu'il avait trouvé sur sa route tout de suite, dans le cas où il ne pourrait vivre sans avoir l'idée fixe centre et principale de le rejoindre. Autrefois c'était l'amour qui dominait sa vie, dans le rire de Bill, sa façon de marcher, de se mouvoir contre lui, de raconter ses anecdotes, de manger des glaces trop chères à l'aube de l'été, où la peau du jeune Russe commençait à briller un peu plus. Maintenant la mort était partout, dans les hurlements des amputés qu'il entendait en litanie le soir, dans le départ prématuré et inquiétant de son trésor, ainsi que dans chacun de ses repas pauvres. La mort était omniprésente.
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Je t'attendrai.
RomanceSeconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine.