Hiver 1943.
Tom avait caressé affectueusement les cheveux de sa petite rousse. Il avait baisé son front et serré son corps puis murmuré, dans un souffle, une brise.
- Oui. Je veux bien être ton papa.
Une larme avait coulé sur sa joue et il avait souri, si fort qu'il en avait eu mal à la mâchoire, alors qu'il fermait les yeux, l'image de sa famille dans la tête. La famille qu'il avait choisie et que la guerre s'évertuait à détruire de jour en jour. Il avait inspiré profondément et s'était endormi contre son enfant, éreinté. L'enfant de ces pensées celle de ses rêves passés et de son futur qu'il voyait maintenant un peu plus coloré.
[...]
Des hématomes se lisaient le long des cuisses du bel ange endormis. Le bleu courait sur sa peau comme une infection. Le bleu dévorait peu à peu le blanc. Les draps blancs si doux remplacés par des os durs et froids. Le corps étendu, les jambes écartées, parce qu'il n'y avait que cela à faire. Les muscles endoloris, la mâchoire qu'on lui avait démontée pour qu'il ne puisse plus mordre lorsqu'il était contraint de leur offrir des gâteries. Les yeux flous, vidé de tout sentiment, vidé d'une once d'espoir minuscule. Seul et souillé, sale et souffrant, les mains esquintées et les pleurs esquivés. Il attendait qu'on se vide en lui comme une bête qui se vide de son sang. Mort. Attentif, au moindre bruit, allongé dans cette chambre du soir, ou plutôt cette cage. Pièce immonde, minuscule, étriqué, seul un lit dans le fond, une babiole, une planche de bois. Il se rendait maintenant chaque jour dans ce bâtiment froid et fermé, dans lequel se multipliaient les chambres et les viols. Il était l'un des seuls hommes, condamné à rester faire l'objet toute la journée. Déshumanisé, il retrouvait parfois se camarades pour qu'on l'emmène faire d'autres tâche aussi physiques qu'atroces. Mais c'est son cul qui lui avait permis de ne pas finir à la chambre à gaz. Bill s'étouffa d'un sanglot, plissant les yeux, à demi inconscient. Il revoyait encore ce jeune homme. Le même que celui qui revenait souvent le hanter lors des nuits trop longues. Ce brun légèrement plus grand que lui, avec un sourire d'amoureux et des yeux qui brillent. Ce jeune garçon plein de vigueur avec de grandes mains agréables à regarder. Il aimait bien ce souvenir mélancolique, fantôme d'une autre vie, qui venait parfois lui rendre visite. Seulement il était incapable de se rappeler de son prénom.
Un énième homme entra dans la chambre, faisant sursauté le jeune homme qui se pencha sur le matelas de fortune, près des quelques bougies, à quatre pattes comme on le lui avait demandé, peut-être aussi pour ne pas supporter la vision insupportable du visage de celui qui volait son intimité. Comme un chien, couché pour son maître, les jambes douloureusement écartées, les joues encore pleines de la douleur passée, le cœur suant et blessé de tous ces vas et viens irritants. Celui des hommes qui rentrent et sortent de la chambre et celui de l'impureté qui rentre et sors rentre et sors mouvement automatique et constant, douloureux, lorsqu'ils se creusent un sillon en lui, font saigner son intérieur et se pousse jusqu'à la libération, alors que lui reste prisonnier de sa douleur. Bill sentit le sentiment de dérangement malsain s'immiscer en lui et écarta encore un peu plus les cuisses, s'agrippant le plus fort possible aux draps en face de lui, docilement. Il se mordit la lèvre pour ne pas hurler et se laissa balader de vas en viens, les larmes aux yeux, sanglotant bruyamment de temps à autre, attendant que l'homme sans visage qui le prenait ai fini de l'utiliser. Il avait le sentiment d'être mort depuis son arrivée à Auswitch. Bill se questionnait ; peut-être était-il réellement en enfer.
Tom sortit, sa jambe tant bien que mal serré dans du bandage, sa béquille sous le bras. Il ouvrit la porte avec une agilité qu'il avait réussi à acquérir au fil des mois et ne put s'empêcher de sourire en voyant la neige qui s'accumulait dans la petite rue pavée. Il appela Solange d'une voix rauque et la laissa se précipiter dans l'hiver, néanmoins ce regard inquiet et protecteur typique porté sur elle. Il soupira, observant la fillette jouer avec le tat de neige qui s'était accumulé sur la boite aux lettres.
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Je t'attendrai.
RomanceSeconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine.