XXIII.

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Les deux amants étaient rentrés chez eux sans un mot, la main de Tom qui soutenait délicatement le dos de Bill et son pied qui chassait chacun des minuscules cailloux sur leur passage pour éviter qu'il tombe. La situation aurait pu être comique dans d'autres circonstances. Bill se sentait étrange de susciter autant d'attention, peut-être ne s'en rendait-il pas vraiment compte. Le brun ne s'en rendait pas compte. L'air frais du matin chatouillait son menton, l'air de la ville où il avait demeuré, loin du blizzard Polonais qui l'avait refroidi jusque dans le cœur. Cœur qui tressautait, avait de légers hoquets, comme si même lui se mettait à pleurer, secoué. Le jeune homme restait impassible, à jeter des regards en pâture à Tom qui se jetait sur ses simples occasions avec une vivacité qui n'était plus d'actualité chez le brun. Il avait l'impression d'avoir pris cinquante ans d'âge en seulement une poignée d'années, alors qu'il observait les traits de son homme dès que ce dernier tournait le regard. Chacun se chassait, ne sachant comment aborder l'autre. Comment tout recommencer après des années sans se voir, se toucher, communiquer ? Bill n'arrivait pas à croire que ces traits si doux étaient en face de lui. Il ne pouvait que détailler ce visage abîmé par la guerre et les nuits écourtées, le redécouvrant et en tombant amoureux malgré lui. Il n'aimait plus seulement le souvenir qu'il avait de Tom, il était en train de s'amouracher pour le Tom du présent, et ça, le jeune russe en était pire qu'effrayé. Tout redevenait si réel. Il restait farouche, presque sauvage, à s'écarter dès que Tom s'approchait de trop près. Tom ne méritait pas ce corps souillé et plat, morne et lascif. Bill devina quelques petites cicatrices sur son menton, résidus de tondeuse, bien que le brun est laissé légèrement pousser sa barbe. Le jeune qu'il avait laissé était devenu un si bel homme. Il descendit son regard et le porta à cette jambe mal famée qui peinait à avancer, soutenue par un bandage de fortune, sûrement la marque éternelle que la guerre avait creusée dans sa chair, tout comme la Shoah avait pris place dans son bras. Le brun réalisait tout juste ce terrible immense détail qu'il avait omis d'inscrire dans son cerveau ; Tom avait fait la guerre. C'était peut-être cette broutille qui avait retirée à son amant la force et l'envie, et qui l'obligeait à lever les yeux dès qu'il entendait un bruit, restes d'une vie en enfer qu'il n'oublierait sans doute jamais.

Les yeux de Tom étaient petits et enfoncés, entourés de gris bleuté, d'avoir trop pensé, pleurer, de s'être trop questionné à la nuit tombée. Des questions, Bill en avait par milliers. Il aurait aimé avoir la force de s'être jeté dans les bras de Tom et l'avoir embrassé à en perdre le souffle sur ce quai, parce que c'est ce qu'ils auraient voulu tous les deux il y a 7 ans de cela lorsqu'il l'eu laissé monter dans ce train. Mais le destin en avait décidé autrement, bien qu'il les ai ironiquement réunis, d'un air de casser le vase puis laisser du ruban adhésif et un manuel pour tout réparer sommairement.

- On est arrivés...

Bégaya le brun en ouvrant la petite porte en bois de sa maison, en dessous de laquelle demeurait encore l'ancien garage. Le brun laissa tomber le baluchon qui torturait son dos à terre et resta bouche bée devant la pièce, comme s'il venait de vivre un voyage dans le temps, un retour en arrière. Il était bel et bien chez Tom, avec Tom, près de Tom. Tom qui l'observait avec des yeux émus, peut-être amoureux, mais par-dessus tous inquiets. Il flotta comme un esprit sur la salle et toucha chaque meuble, chaque rideau qui n'avait pas changé de place, chamboulé. L'oxygène peinait à entrer dans ses poumons étroits. Bill prit place sur une chaise et serra son pantalon entre ses mains, à bout de souffle, encore tremblant. Il sentit une larme caresser sa joue, alors qu'il avait pris place sous le petit velux qui filtrait la lumière et dessinait deux faisceaux lumineux dans son dos, ailes artificielles. Tom releva les yeux vers le jeune homme et fut atteint en pleine poitrine, alors qu'il souriait face au visage apaisé de son amour qui fermait les yeux, profitant de la caresse du soleil sur sa peau blanche. Il avait l'air irréel, assis là, la respiration calmée, les mains reposées, bien que sensible à la vue du passé qui s'étalait devant ses yeux. Tout était resté comme lorsqu'il avait quitté l'endroit, à l'exception de la photo de lui encadrée et pendue au mur, qu'il devinait accrochée par Tom. Cette simple attention fit étirer ses lèvres en un sourire discret, doux, presque amoureux, alors qu'il lançait un regard timide vers Tom, touché. Il aimait tant la façon dont Bill ressentait les choses, vivait chacun des moments, l'ange blessé qu'il venait d'accueillir chez lui et qui pleurait sur un passé révolu, alors qu'il leur restait un futur à construire s'ils en trouvaient le courage. Une petite touffe rousse réveilla les deux jeunes hommes de leur rêve éveillé, l'un drogué à l'image de l'autre et l'autre enchaîné à une vie d'antan, touffe tornade qui se jeta dans les bras du plus vieux. Ce dernier l'attrapa au vol et l'enlaça en riant, alors que Bill les observait d'un air craintif, ayant peur de comprendre.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant