VI.

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Mai 1940.

Des rumeurs circulaient depuis un moment dans la tranchée insalubre, des rumeurs qui faisaient froid dans le dos. Les hommes continuaient de se battre sans relâche, bien qu'ils ne sachent plus vraiment en quel honneur. Beaucoup étaient morts. De trop nombreux soldats étaient devenus complètement fous, à entendre des sifflements de balles et des explosions d'obus près de leurs oreilles, allant jusqu'à s'en inventer. Les troupes s'étaient réduites de moitié, et la dernière ligne débordait de blessés en tout genre, allant du simple rhume fiévreux aux infirmes et amputés. De là, on percevait les rumeur bien après tout le monde.

Tom était là, depuis plusieurs jours. Sa blessure s'enflammait, l'empêchant de se battre correctement. Le régiment d'infanterie dont il faisait partie trônait encore et toujours en première ligne, où les offensives ne cessaient de se multiplier côté allemand. Les Français perdaient espoir au même titre qu'ils perdaient des hommes. Allaient-ils réellement un jour en ressortir vivants ?

Le brun profitait de ces quelques jours de répit qu'il avait à cause de cette blessure, pour tenter de se rétablir, d'un point de vue physique et moral. Être allongé sur un brancard dans le fond de la tranchée toute la journée, avec une infirmière dans les parages pour surveiller et refaire les pansements, au lieu de se tenir en position de tir, prêt à appuyer sur la gâchette qui ferait ses ravages à n'importe quel moment, cela libérait du temps pour penser. Tom pensait surtout à Bill. Il se demandait si tout allait bien. Sa dernière lettre datait d'il y a à peine une ou deux semaines. Dedans, il disait que tout allait bien, que les oiseaux commençaient à faire leurs nids, que le printemps sortait le bout de son nez. Il parlait trop peu de lui, et sa personne manquait terriblement au jeune soldat, qui souffrait de cette absence probablement autant que son brun. Du moins, il aimerait vraiment que ce soit le cas. Après tout, qu'est-ce qui l'empêchait d'aller voir ailleurs, s'il en avait envie ? Cela faisait plus de six mois qu'ils ne s'étaient pas vu. Plus de six mois qu'il ne l'avait pas touché. En y repensant, six mois, c'était long. En six mois, tout peut changer. Tom sentait que son corps tout entier et son cœur meurtri étaient totalement en manque de Bill. Comme si le plus jeune était devenu son oxygène. Son atmosphère. Sans lui il suffoquait. Lui qui pensait que tout ceci ne serait l'affaire que de quelques semaines, il se trompait bien.

Alors que la femme d'âge mûre, sans doute infirmière volontaire, pansait sa blessure et la désinfectait autant qu'elle le pouvait, Tom reconnut le colonel en chef de son régiment qui s'approchait de lui d'un pas précipité.

- Soldat ! Préparez vos affaires, notre régiment lève le camp dès ce soir. Départ pour un autre front.

Le jeune homme crasseux, ne pouvant qu'obéir aux ordres que vociférait son supérieur, attira à lui le petit baluchon tout prêt qui traînait dans la boue, sous son lit d'appoint inconfortable. L'infirmière lui offrit un peu d'intimité, et Tom fut seul pendant un instant. Il ne pouvait pas se battre pour le moment. Il en profita pour chercher dans la poche de sa veste un énième billet de papier jauni et froissé par ses nombreux mouvements quotidiens. Il sortit également, avec un peu de mal, un crayon, qu'il tailla rapidement avec son petit canif de poche. Rapidement, Tom se mit à rédiger son billet, les mains moites et tremblantes.

« Bill,

Je t'écris cette lettre en vitesse, entre deux combats. Tu sais, ce que je t'écrivais il y à quelques semaines est révolu : les allemands multiplient les offensives, nous sommes loin de ces premiers mois, où chacun restait cantonné dans sa tranchée, à attendre que la nuit tombe. Tout devient bien plus compliqué, à présent.

Bill, mon Amour, il faut que tu saches que, si je reviens, je ne sais pas quand. Je vais changer de front. Nous partons dès ce soir. Je ne sais point où nous allons, mais nos lettres mettront peut-être plus de temps à arriver. Je suis épuisé Bill. Je donnerais n'importe quoi pour rentrer à la maison, et t'avoir à nouveau dans mes bras. Ce contact me manque tant, si tu savais.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant