XIX.

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Bill patientait. Plusieurs minutes qu'aucun homme n'était entré dans la petite pièce. Le brun observait ses mains, dont l'un des doigts ne répondait plus, étrangement bleuit. Elles étaient si fines et petites, au moins une chose qui n'avait pas changé. Il soupira d'aise, les instants de trêve étaient rares. Le jeune homme sentait toujours cette douleur du manque qui le lacérait sans qu'il ne sache exactement pourquoi. Comme s'il avait été incomplet, qu'une partie de son être lui avait été arraché. Son torse se soulevait au rythme de sa respiration pour une fois calme, posée, rythmée par le silence rompu par des cris de jouissances provenant des autres chambres. La maison close était muette, comme si les oreilles du brun s'étaient doucement refermées pour ne plus entendre l'horreur. Il la subissait déjà assez. Il attendait simplement la mort, se disant que ce serait agréable qu'elle arrive maintenant. Il pourrait enfin déployer les ailes coincées entre sa peau fine et sa colonne vertébrale et s'envoler. Il faisait si froid dehors. Bill se dit que de toute façon, elles auraient sûrement gelé à cette température. Il faisait bien trop froid pour les anges. On brûlait leurs ailes ici, où on se contentait de les prendre puis de les sectionner. Le jeune homme tremblait d'ailleurs, le froid courant sur son épiderme et piquant chacune des parties de son corps. Il le mordillait, l'asservissait et rendait chaque tâche encore plus difficile. L'hiver était si long. Bill se demandait s'il allait un jour cesser. Y'aurait-il une autre vie après l'hiver ? Le brun soupira, s'autorisant quelques espoirs vains et futiles. Et si il réussissait à retrouver son fameux mirage au visage si rassurant ? Il pourrait peut-être finir sa vie dans ses bras, au chaud. Dans un lit confortable, près de l'homme qu'il aimait. L'homme qu'il aimait.

Bill réfléchit quelques instants et se maudit d'une force inimaginable.

Son corps sembla se rétracter sur lui-même automatiquement, pour prendre le moins de place possible. Il était là, si fragile, dans cette pièce si serrée, recroquevillé. Un pouce dans la bouche, les yeux clos, une fièvre qui l'envahissait sans qu'il ne puisse la combattre. Il se laissait balader de douleur en douleur, alors qu'il comprenait enfin son visage. Le jeune homme se pencha jusqu'à sa cheville dénudée et y porta sa main d'un air nostalgique, les larmes aux yeux, le pourpre aux joues. Un souvenir banni qu'il avait osé oublier, jeter, enterrer dans un coin de son esprit qui marchait au ralentit. Qui ne marchait plus. Cet immense détail qui lui faisait perdre la tête. Il murmura son nom, d'une voix à demi morte, éraillée, comme si les années lui étaient passées dessus.

- Tom...

Il frissonna de tout son long, transporté par ces quelques syllabes. Il inspira, comme s'il avait trouvé le moyen de libérer ses poumons, se sentant soudainement aussi léger que coupable. Tom. Il se le serait répéter un million de fois, alors que son corps repartait doucement, comme si tous les petits engrenages qui font qu'un homme à des émotions étaient soudainement en train de se rassembler une nouvelle fois. Le jeune homme suffoquait, à penser à cette vie qu'il avait inconsciemment oubliée, cette vie magnifique, si belle qu'il avait peine à croire qu'il est pu un jour être aussi heureux. Quelques mots en russe traversèrent ses lèvres alors qu'il fermait les yeux, priant pour retrouver ce bonheur déchu. Il repensait à son amant, la véritable raison pour laquelle, peut-être, il n'était pas encore au fond d'une chambre à gaz. Il déposa ses mains sur son crâne dépourvu de cheveux et fut secoué par de violents sanglots, alors qu'il attendait maintenant l'aube. Ses draps sentaient mauvais l'homme mature et la violence. La pièce l'étouffait, mais seul l'image de Tom en son esprit l'importait, alors qu'il gémissait à sa vue. Il se souvenait des mondes qu'il aurait pu déplacer pour ce jeune homme et du vide qui s'était creusé en lui. Il n'aurait plus la force de rien déplacer pour Tom. Il n'arrivait déjà plus à déplacer sa propre vie. Il se questionnait, combien même il rentrerait ; que lui resterait-il ? Pourrait-il un jour rentrer chez lui ? Et ce jeune homme, l'aimerait-il encore ? Pourquoi devrait-il l'aimer encore ? Il devait avoir refait sa vie. Être dans les bras d'une femme. Une femme. Le brun pleura encore, dérangé par cette simple vision. Peut-être l'avait-il oublié, lui aussi. Il se souvenait l'avoir tant aimé. Plus qu'un homme n'était communément en mesure de le faire. Il voulait se rappeler des mains douces et protectrices sur son corps mais la porte s'ouvrit en un fracas, laissant apparaître un nouveau client, alors que le brun se remettait dans sa position initiale. Avec ce goût amer dans la bouche, celui qui indique que vous avez plus que jamais envie de vous tuer.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant