Quelques semaines s'étaient écoulées depuis que Bill avait raconté sa petite histoire de scarabées et coccinelles à Solange. La petite avait tant aimé ce petit conte tout droit sorti de l'imagination de son Papa, qu'elle le lui redemandait tous les jours ou presque, toujours avec autant d'entrain, la même étincelle dans les yeux. Elle était encore bien trop petite pour comprendre la subtilité, le fait que ce soit en fait la véritable histoire de leur vie. Mais Bill se plaisait à lui conter cette histoire encore et encore, sans doute pour terminer le long travail d'acceptation qu'il effectuait depuis des années en arrière plan. Il se sentait enfin prêt à passer à autre chose, et ainsi à raconter son histoire aux autres, non pas pour la pitié des gens, mais pour qu'ils comprennent que ce qu'il s'est passé à Auschwitz devra rester à Auschwitz, et qu'en aucun il ne faudra le reproduire. Bill aimerait raconter, parler pour témoigner. Il attendait de pouvoir être assez fort psychologiquement pour aller de lui-même se proposer et parler de sa vie.
Ainsi, comme à peu près tous les jours, la petite rouquine était venue lui demander son conte. Elle l'avait trouvé à l'extérieur, assis à leur vieille table en ferraille rouillée, des feuilles qu'il s'était procurées, nul ne savait comment, posée devant lui, et la vieille plume que Rachel lui avait un jour offerte dans la main droite, l'encrier se trouvant un peu plus loin sur la table. Il s'appliquait, de sa plus belle écriture, à rédiger sur papier ce conte à l'allure bien enfantine, mais allure véridique et lourde de sens.
- Papa, tu me raconte la kokinelle et les carabées ?
- On dit coccinelle et scarabées ma puce. Pas maintenant, tu veux ? Je suis occupé.
Avait gentiment soupiré le brun en souriant.
- Qu'est-ce que tu fais toi ? Demanda-t-elle intriguée.
- Je travaille. J'écris.
- Oh. Moi je sais pas écrire ! Tu m'apprends ?
Le jeune homme soupira plus franchement, le comportement incessamment curieux de sa fille l'agaçant quelque peu.
- Pas maintenant ma chérie. J'ai besoin que tu me laisses un peu tranquille s'il te plaît. Va donc voir Tom, il cueille les framboises dans le jardin.
Bill avait à peine prononcé le mot "framboise" que la jeune rousse s'était enfuie en courant vers leur petit potager. En plein Paris, ils étaient fiers de pouvoir s'en occuper. Il sourit un instant, et se repencha sur son récit. Il cherchait l'inspiration, qu'il trouva sans aucun problème dans cette petite cour pleine de souvenirs, allant de l'atelier au porche intérieur de la maison. Bill se souvenait de tout. Il aperçut son amant de toujours au loin, qui prit la belle initiative de lui envoyer un baiser avec sa main. Attendri par ce grand brun barbu qui tenait un enfant par la main, Bill attrapa le baiser envolé, et déposa ses mains sur ses lèvres en souriant. Il se revoyait lui-même il y a plus de dix ans, au départ de Tom pour la guerre, sur ce quai qui les avait séparé. Bill regarda autour de lui et en tira la conclusion, qu'après tout ce temps passé loin de son amour et loin de cet endroit, il n'y avait que là qu'il se sentait chez lui. Et il était chez lui. Il se sentait bien.
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Le soleil pointait gentiment le bout de son nez, en douceur comme à son habitude. Il allait chatouiller les fleurs de sa délicate chaleur, et réveillait les plantes de la même manière. Depuis le début de l'été, personne ne se souvenait d'une quelconque tempête ou d'un semblant d'ouragan. Simplement parce qu'il n'y en avait pas eu. Quelques gouttes de pluie de temps à autres, pour nourrir les plantes et les fleurs assoiffées, mais sans plus. Le monde semblait heureux, rempli d'un immense bonheur venu de nulle part, mais certainement aussi immense que celui qui emplissait la maison Ivanov-Kaulitz. Attirés par l'amour et l'envie de ne rien faire, les deux amants n'avaient pas le coeur à se lever. Solange avait été invitée par leur gentille voisine pour la nuit, pour son plus grand plaisir. Elle s'était tant réjouie qu'elle en serait presque partie, sans dire au revoir à ses pères. Et s'ils avaient quelque peu froncé les sourcils en voyant ça, ils s'étaient bien vite ravisés. Elle aussi avait droit à ses propres expériences. Elle grandissait et Tom savait sans nul doute qu'un jour elle passerait sa porte pour de bon, et irait vivre sa propre vie loin d'eux. Enfin, elle était encore si jeune, et avait encore tellement de choses à apprendre auprès d'eux, avant de quitter la petite maison du soldat.
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Je t'attendrai.
RomanceSeconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine.