XVI.

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Février 1943.

La stridente alarme résonna dans Paris, pour la 96ème fois depuis sa création. Un bombardement. Tom connaissait les consignes par coeur, il les avait assidûement apprises, de peur d'un jour se retrouver seul au milieu des morts, à ne pas savoir quoi faire. Se réfugier dans les caves était la première chose à faire. Le brun se leva en boitillant, oubliant sa béquille sous le coup de l'émotion, à cause du stress. Il prit dans ses bras la petite Solange encore endormie, qui suçait son pouce en bavant tendrement. Il avait tant mal pour cette petite. Sans réfléchir, et comme il l'avait déjà fait tant de fois depuis le début de la guerre, il sortit pieds nus, l'enfant contre lui, dans la petite cour arrière. Il souleva les toles qui servaient de portes à sa cave depuis des générations, et s'engouffra à l'intérieur, dans la pénombre de la nuit. La pluie était tombée fort la nuit dernière, la cave était boueuse, froide et humide. Mais à ce moment-là, Tom se fichait bien de savoir dans quel état se trouvait le sol qu'il foulait. La seul chose qui l'importait, c'était la sécurité du petit ange dans ses bras. Il en avait perdu un, et ne se permettrait pas de perdre le second. Les petites boucles de la rousse entouraient son paisible visage de petite fille. Profite petite, profite, pensait Tom, alors qu'il attendait le coeur battant la première explosion. Recroquevillé dans un coin de la cave, il craignait pour sa vie, mais avant tout pour celle de Solange. Il la tenait fermement contre lui, de façon à ce que, s'il devait y avoir une bombe qui s'écraserait toute proche, ce soit lui qui prenne, et elle le moins possible. Une protection instinctive. Paternelle peut-être. Peu importe. Cette gamine aidait son monde à tourner sans Bill, c'était la deuxième béquille qu'il lui fallait.

Sans qu'il ne comprenne pourquoi, d'un coup, la petite se mit à bouger comme un automate, une poupée articulée. Les flammes pénétrèrent de nulle part dans la cave, envahissant le petit espace par la chaleur intenable d'un feu, se rapprochant de plus en plus des deux humains. Il ne réalisa pas que le monstre qu'était devenu Solange s'avançait droit vers le danger, et ne put pas la retenir avant qu'elle ne pénètre à l'intérieur. Il laissa un cri s'échapper, tandis que le petit monstre se retourna, pour laisser apparaître un visage à demi-fondu, ses si beaux cheveux brûlés, un de ses yeux sortant de son orbite et pendant lamentablement dans le vide. Elle regardait Tom, perdue, alors que lui faisait tout pour détourner les yeux, terrorisé, même à 24 ans, par cette vision aussi macabre. Tom revoyait tout, il revivait tous ces mois au front dans les moindres détails, ressentait sa blessure comme s'il venait juste de se faire tirer dessus, et sa mort comme s'il l'avait vraiment vécue. Et alors qu'il se bouchait les oreilles pour éviter d'entendre les explosions et les crépitements des flammes à ses côtés, et qu'il se cachait les yeux dans ses genoux, la petite murmura.

- Tom, j'ai peur.

Le brun se réveilla en sursaut. Il haletait, mort de peur à l'idée de se trouver en plein dans son cauchemar. Il mit quelques instants à s'habituer à la pénombre de la pièce. Il n'avait absolument aucune idée de l'heure qu'il pouvait bien être, mais se rassurait en se disant qu'il n'avait rien à craindre, qu'il était dans sa chambre, dans sa maison, dans son lit, au calme, en sécurité. Son coeur rata un battement lorsque, en jetant un coup d'oeil dans le lit-table-de-nuit près de la fenêtre, il remarqua qu'il était vide. Puis, il vit la petite touffe rousse juste devant lui, assise en tailleur à quelques mètres du lit, son pouce encore dans la bouche, et un bout de tissu rapiécé dans la main, les yeux rougis par les larmes, la respiration saccadée par un reste de sanglots. L'aîné se redressa dans son lit, et se frotta les yeux pour se réveiller.

- Tom, j'ai peur.

Le jeune homme soupira en souriant quelque peu. Décidément, cette petite l'embêterait même la nuit. Il se leva et se pencha vers le sol pour prendre tendrement la fillette dans ses bras, et se recoucher avec elle dans son lit, la tenant tout contre lui. Il s'affairait à la bercer doucement, pour calmer ses restes de sanglots, petites impulsions si douloureuses car pleines de tristesse.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant