XXII.

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Avril 1945.

Tom devenait fou. Complètement fou. Fou de rage, fou d'inquiétude, fou de tristesse, fou d'amour, fou de Bill, fou. Cette folie ressemblait fort à un poignard qui lui entaillerait les jambes chaque fois un peu plus profondément. Paris était libéré depuis maintenant quelques temps, et nous étions à à peine quatre ou cinq mois de la définitive fin de la guerre. Le jeune homme avait l'impression que cela faisait une éternité que la guerré était terminée. Le temps passait si vite, encore plus vite lorsqu'il voyait Solange grandir, gagner en maturité. L'enfance était la partie la plus importante, mais aussi la plus insouciante de toute une vie, et le brun se sentait léger de la voir si heureuse, si haute en couleurs depuis que Paris était à nouveau française. Il avait le sentiment que la petite s'était comme libérée d'un poids important. Elle riait, sautillait, dansait à n'importe quelle heure de la journée, voulait sans cesse sortir se promener, et débordait d'une joie de vivre bien plus que communicative. Lorsqu'ils la croisaient, les passants qui s'attardaient à nouveau dans la rue souriaient presque instantanément. Ils se demandaient curieusement comment une enfant si petite pouvait bien être si heureuse, alors que la plupart des enfants sont toujours en pleine recherche, certains savent même que ce n'est déjà plus la peine de chercher.

C'est souvent à ce moment que l'insouciance se brise. "Papa et Maman ne reviendront plus", "Maman est au ciel", "Ils sont en voyage". Tout cela voulait dire la même chose, et pauvres de coeur étaient ceux à qui cette phrase parvenait. Beaucoup devenaient alors pupilles de la nation, ces enfants qu'on oublie.

Un an ne s'était pas tout à fait écoulé depuis la libération. L'hiver avait détalé au grand galop, et seules restaient les températures très moyennes et le temps pluvieux d'un mois de mars. Tom passait ses journées à parcourir le journal – il achetait des dizaines et des dizaines d'exemplaires chaque semaine – , écouter la radio, et lorsqu'il sortait se promener avec Solange, il cherchait sans cesse à pouvoir se renseigner quelque part, pour avoir une liste de déportés, une liste de quelque chose, un indice, un fil sur lequel tirer, une bouée à laquelle se raccrocher. Il avait tant attendu dans la peur qu'à présent, il doutait encore de ce qu'il faisait. Est-ce que ça valait vraiment le coup ? Tom cherchait Bill, avec toute la hargne de l'amant fou amoureux qu'il était. Oh ça oui, il l'était, amoureux. Comme au premier jour, comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Quand il lisait les longues listes de noms dans le journal, ou qu'il les écoutait à la radio, il priait pour qu'un Bill Ivanov se manifeste parmi les vivants, et suppliait de toute son âme pour qu'il n'ait pas à subir l'entente de ce nom si important suivi de la mention "mort en déportation". Il priait de tout son coeur, de tout son corps, de toute son âme, il plaçait tant d'espoir dans le fait que son Amour soit quelque part en Europe, en sécurité, mais surtout vivant. Il recommençait à croire en son Dieu. Après tout, s'ils avaient libéré Paris, si la guerre touchait à sa fin, pourquoi les déportés ne reviendraient-ils pas, eux aussi ?

Seulement, Tom demeurait fou, chien en cage, car il n'avait aucunes nouvelles. Il ne savait rien, et ne pas savoir l'inquiétait, lui faisait peur. Il voyait tout un tas de gens revenir, retrouver leurs familles, reprendre après un peu de temps une vie normale. Mais il voyait aussi tout un tas de familles amputées, éventrées, à laquelle il manque un père, une mère, un enfant. Il n'arrivait même pas à être triste pour eux. Dans sa tête, tout ce qui l'importait dès à présent était Bill. Il n'avait plus que Bill. Il mangeait Bill, pensait Bill, buvait Bill, dormait Bill, vivait Bill. Il ne survivait plus que pour lui. Il s'occupait de Solange sans pour autant cesser de penser à son bel ange qui lui manquait tant. Il vivait en égoïste, ne pensait plus qu'à son petit bonheur, et en oubliait le monde autour. À la longue, il s'était tellement préoccupé du bonheur des autres qu'à présent, ils pouvaient bien tous crever, il s'en fichait bien. Il serait presque jaloux de ces familles où tout reprenait son cours normal, alors que chez lui, dans son petit coeur, il manquait toujours quelqu'un, le creux restait toujours désespérément béant, et il se sentait mort depuis maintenant sept ans. Sept ans, c'était beaucoup trop long, même pour attendre un ange, ange qui ne revenait pas. Tom en voulait au monde entier, pestait contre cette humanité qui n'existait plus, cette humanité qui lui avait enlevé Bill, et qui ne lui ramenait pas. Le brun se sentait à bout émotionnellement. Il avait trop trimé, trop pleuré, trop attendu, trop espéré. Il n'en pouvait plus d'espérer pour rien, pour quelque chose qui n'arrivait pas, qui n'arriverait plus. Il perdait espoir, même s'il continuait au fond de lui même à garder allumée la flamme de cet espérance qui devenait si faible. L'espoir était là, mais il lui manquait désespérément la personne qui en raviverait l'éclat.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant