XXI.

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Les hommes sortaient de leurs trous comme des petits animaux craintifs qui s'éveillaient, habituant leurs yeux nyctalopes à la lumière blanchâtre du jour qui se lève. L'un d'eux hurla, les joues pleines de suie, les mains autour de la bouche. Ce fut l'élément déclencheur, alors que chacun cherchait à sauver son reste de dortoirs. Les détenus n'osaient pas sortir du camp, trop blessés ou extenués pour marcher en compagnie de la garde de leurs sauveurs. De plus, un vestige de leur esclavage restait considérablement présent et il leur semblait impensable de quitter leur prison, par peur des hypothétiques représailles. Un triste bilan s'établissait et chacun s'accablait maintenant de son sors, car sauver les autres n'était plus d'actualité depuis longtemps.

Ainsi les petits animaux meurtris restaient dans leur terrier à se morfondre.

[...]

Les jours, les semaines, puis les mois s'étaient écoulés, chacun plus lentement que les précédents. Bill était assis dans son lit d'hôpital, le dos soutenu par un oreiller, là où il aurait pensé ne retrouver de confort que dans un cercueil. Les yeux vides, il restait passif, un livre à la main, écrit dans cette langue qui était la seule chose qu'il n'avait jamais réussi à oublier. Les lettres russes se suivaient comme de jolis dessins et formait une pluie de symboles tous différents, que le brun avait appris à déchiffrer très vite. De l'hôpital anglais où il résidait on lui faisait venir des livres Russes avec soin, tout frais pris en charge par l'endroit et le service de psychiatres. Il passait ses journées à profiter du soleil qui filtrait à travers la petite fenêtre et venait caresser la peau de son visage et lire pour ne plus penser à l'horreur qu'il avait vécue. Tout ceci lui semblait si loin, mais la douleur, elle, le rattrapait un peu plus chaque jour. Il avait beau la fuir et prier pour ne pas se faire secouer par d'autres visions vomitives mais elle lui collait à la peau, suçait son âme et s'agrippait comme un parasite. Rien ne semblait capable de vaincre cette fatigue de vivre qui dormait dans le ventre du brun, alors qu'il ressentait à la fois le besoin de faire tout ce qu'on lui avait interdit de faire. Il se sentait dans le besoin de guérir vite pour courir le plus vite possible, hurler tout ce qu'il pouvait, et pleurer chacune des larmes qu'il avait retenu. Les larmes qu'il avait refusé de laisser couler lors de la mort de Rachel, le départ de Tom, la mort de Grégory, la vue des enfants qui faisaient la queux vers la mort. L'orage salé qu'il sentait encore gronder dans sa poitrine. Il avait tout perdu et sentait que la guerre l'avait tant changé qu'il été effrayé à l'idée de ne plus jamais redevenir comme avant. Il avait été poussé si profondément dans les bas fond de l'humanité qu'aucune corde ne semblait en mesure de le remonter.

- Je peux entrer ?

Questionna une petite femme habillée de blanc sur le pas de la porte, d'une voix légèrement rauque. Le jeune homme hocha simplement la tête et posa son bouquin sur la petite table près du lit sommaire d'hôpital. On avait offert aux anciens déportés les meilleures chambres. Le brun sentait bien la compassion soudaine et ironique de tous les pays d'Europe, qui semblaient pâlir de culpabilité pour chacun différente à la vue d'un numéro tatoué sur un bras osseux. Seul vestige de cette vie en enfer qu'il restait à Bill, avec la maladie qu'il avait combattu et les cernes qu'il gardait sous les yeux dû à ses nuits qu'il était incapable de finir.

- Vous avez pris vos médicaments ?

Il répondit à l'affirmative et inspira, laissant retomber sa tête contre le mur de la chambre. Il avait écopé d'une syphilis et d'un tas de petites infections sexuellement transmissibles prévisibles, qu'il avait eu beaucoup de mal à traiter. Ces maladies venaient lui rappeler qu'on avait utilisé son corps et qu'il se trouvait sale, immonde. On lui avait trouvé un tas d'os cassé impressionnant et le plus douloureux avait sans doute était au niveau de sa mâchoire où le nombre de lésions était considérable. Il avait tant été frappé que le bleu semblait incrusté sous sa peau. Le jeune homme avait fait plusieurs crises suicidaires les premières semaines et avait donc subit un suivi psychiatrique très lourd, qui avait un peu ajouté au poids considérable qui le faisait tant souffrir. Il n'arrivait plus à penser qu'à ses livres et refusait de s'endormir le soir, bien que son corps meurtri en est plus que besoin. Ils avaient fait de lui un rat, comment pouvait-il vivre après ça ? Il entendait à nouveau les cris insupportables du camp et revoyait sans cesse ces corps entassés les uns sur les autres. Pas une minute ne s'écoulait sans qu'il n'est peur de la suivante. Le brun était paranoïaque, tendu constamment, et surtout, il pleurait en permanence. Une traînée éternelle de larmes qui s'écoulait comme un ruisseau sur ses joues blanches, témoins de ses années de souffrance. Il pouvait passer des jours sans parler à se murer dans sa petite folie. Il ne parlait que pour demander d'autres livres et acceptait tous les ouvrages excepté les histoires d'amour. Parfois, il se penchait et posait sa main sur sa cheville fébrile pour prier, la respiration haletante. Les juifs avaient donné un nom à ce carnage, un nom qui résumait le précipice dans lequel ils étaient tombés ; Shoah. Bill aurait aimé en créer un pour ses compagnons homosexuels, peut-être même en Russe. Mais on ne nomme pas la terreur, on la subie puis vit avec ou se tue pour ne plus supporter ses visites malignes.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant