- Allez, papa, allez !
Râla la petite fille en sautant dans tous les sens, n'ayant plus de pansement à se soucier depuis quelques semaines. Les deux arrivèrent enfin au petit parc d'avant-guerre, dont le portail bleu grinçait étrangement. L'enfant sauta par-dessus la barrière et couru vers les jeux qu'elles convoitaient tant, sur ses petites jambes énergique. Un véritable cabri, soupira Tom, en prenant place sur un petit banc. Se poser soulagea grandement sa jambe qui criait à l'aide depuis tout à l'heure souffrant des quelques mètres seulement qui séparait le jardin d'enfant de leur maison. Le brun observait sa fille qui trouvait son bonheur en sautant dans les tas de feuilles alors qu'on avait érigés balançoires et tourniquets, et se dit que c'était bien comme ça. Il faillit la retenir de sauter dans une flaque puis se résigna, de toute façon elle avait besoin de prendre un bain. Quel mauvais père il faisait, songea Tom, pensif, en allumant sa pipe. Il la porta à ses lèvres et crachota de petits nuages de fumée toxique, trouvant cette situation bien curieuse. Il avait le sentiment d'avoir pris dix ans d'âge à attendre que sa fille est terminée de jouer. L'époque où c'était lui qui s'amusait dans ces trucs lui paraissait encore si proche. Le jeune papa se trouva bien triste que son amoureux de toujours ne soit pas venu, l'abandonnant ainsi à sa solitude. Il n'aimait pas être loin de Bill, principalement parce qu'être loin de Bill était indéniablement ennuyeux et ensuite car il avait besoin de le voir pour le surveiller, lui aussi. Pas d'un escargot mangeur de petit enfant ou d'une glissade incontrôlée, non, d'une chose peut-être bien plus effrayante. Du mal qui le rongeait et l'obligeait à se faire autant de mal. Le brun ignorait ce que s'infligeait concrètement son cadet mais comptait bien le découvrir. Quoi que, se dit le soldat, il n'avait peut-être pas envie de savoir. Il n'avait pas envie de voir Bill souffrir. Mais il lui devait, il lui devait pour pouvoir le sauver. Pour pouvoir le prendre dans ses bras sans qu'il ne se crispe. Pas comme avant, comme leur futur le signalait. Il savait qu'il pourrait bientôt l'avoir pour lui, qu'il ne consacre sa tête qu'à lui et lui seul. Il savait qu'il ressentirait encore et encore ce vertige puis ce calme d'après tempête de leurs nuits d'amour, une fois que son brun serait soigné. Il nécessitait tant d'attention, et Tom se maudissait d'en consacrer si peu.
- Papa regarde je fais l'avion !
Le brun applaudit bien que peu convaincu par la performance de sa fille (qu'il avait en vérité à peine regardée) et retourna à ses réflexions et à sa pipe, la tête ailleurs. Il doutait de cette vie qu'il tentait de construire, vie qui s'effondrait à la moindre fissure. Il avait envie d'un peu plus mais se contenait, sachant que Bill lui donnait déjà tout ce qu'il était capable de donner. Ils avançaient sur ce chemin, main dans la main, doucement, le temps d'écarter chacun des obstacles. Mais le brun se questionnait ; et si tout cela le menait droit dans un mur ? S'ils s'écrasaient avant même d'avoir parcouru un morceau de terre suffisant. S'ils couraient trop vite et se prenait ce mur ? Tom se résigna ; s'il y avait vraiment un mur il le détruirait brique par brique jusqu'à porter Bill pour le faire passer par-dessus. Il refusait d'arrêter et surtout ; en était incapable. Son amour envers Bill l'enivrait, l'enfermait, le tenait prisonnier. Prisonnier de son corps, prisonnier de ses yeux, prisonnier de son lui, son état psychique, ses manières, prisonnier de lui. Qu'il aurait aimé se défaire de ce maléfice, maintes fois. Mais il y était enchaîné, comme un fou, à relater les mêmes conneries depuis presque dix ans, à espérer les mêmes baisers de la part de l'ancien adolescent. A vouloir la même chose en en découvrant d'autres qui font que, indéniablement, il le veut encore, qu'indéniablement, il en est dépendant. Bill restait cette perfection, cet objectif, cette passion qu'il n'oubliait pas, car elle cramait encore dans son ventre. Bill était cet interdit, ce fruit défendu, ce pêché si bon, si sensuel et prenant. Tout ce qu'il aurait dû rejeter. Tom n'y pouvait rien ; il était amoureux. Depuis le premier jour, la première fois que le cadet avait passé la porte de l'atelier. Il ne marchait pas, il flottait. Ses cheveux courts qui volaient au vent, ses mains délicates dans ses poches, ses yeux captivant et sa bouche pulpeuse qui aurait fait envie à n'importe qui. Son cou fin, sa peau fine, son corps fin, son esprit fin, son rire qui charme, ses mains qui dansent, son visage qui se pli joliment. Son humour, sa poésie, et maintenant sa mélancolie. Tout émanait d'une douce lumière qui laissait Tom en transe et l'emportait vers l'endroit derrière le mur, celui aussi étendu que magnifique, aussi magnifique qu'hypnotisant. Il lui en voulait, parfois, de l'avoir autant fidélisé à ses lèvres, à son être. Mais il restait muet lorsque son ange dansait pour lui, ses ongles sur sa nuque, son front contre le siens, et son regard figé, braqué sur les siens, prêt à mordre, prêt à attaquer de toute sa beauté spectaculaire.
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Je t'attendrai.
RomanceSeconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine.